Chroniques

par françois cavaillès

récital Jonas Vitaud
Debussy, Liszt, Wagner/Liszt

Nuits romantiques du Lac du Bourget / Théâtre du Casino, Aix-les-Bains
- 6 octobre 2017
Jonas Vitaud joue Debussy, Liszt et Wagner aux Nuits romantiques du Bourget
© hélène bozzi

Beaucoup de pensées nous assaillent en ce récital à la fois digne et dense, autant qu'intègre et virtuose, de Jonas Vitaud. Sous le radieux ciel automnal d'Aix-les-Bains, le jeune Parisien signe son retour aux Nuits romantiques du Lac du Bourget, en dévoilant, tout d'abord, un magnifique avenir wagnérien. La présente édition du festival étant dédiée au maître de Bayreuth (quel regard fixe et quel béret à l'affiche !), une nouvelle plongée dans les fameuses transcriptions de Liszt vaut démonstration d'un savoir-faire certain et de belles libertés, sans faute de goût romantique allemand.

Rarement Prélude et mort d'Isolde aura paru aussi vivant, grâce aux doigts si soigneux de résonance, puis de justesse dans l'attaque. Prendre l'appel de la mélodie, montrer le respect de Templier, faire éclater le verbe wagnérien... Tout est réussi pour parvenir au lyrisme, à travers la lamentation brûlante. La superbe expression d'un sentiment de défaite, plus fragile, toute en questionnements intérieurs, précède celle, fracassante, inévitable et irrésistible, de la réalisation de l'idéal amoureux lors de l'ultime voyage... stratosphérique !

Et sur la voie de Liszt dans les opéras de Wagner, les excellentes mains du pianiste libèrent aussi les chœurs. Pèlerins de Tannhäuser et fileuses du fliegende Holländer volent en escadrille dans l'ambiance de culte marial ou de facétie innocente bien propres à ces deux scènes si différentes. Mais avec quelle virtuosité, par quel charme, passe-t-on à la marche solennelle de Parsifal ? S’il sait faire admirer l'aspect monumental de l'œuvre, l'art de Vitaud est déconcertant de puissance et de calme alternés.

En seconde partie, comme à l'envers de la première, le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy, en transcription à vue, et les extraits des Consolations de Liszt – nocturnes ainsi nommées en hommage à Lamartine (figure tutélaire du festival, puisque c’est au bord du lac qu’il rencontrait Julie, sa muse ; on connaît son fameux poème…) – ont l'effet poignant d'un songe élégant, mais au final extrêmement impressionnant, qui laisse une trace aussi nette que floue d'un rêve confondant. Moins romantique peut-être, moins lyrique certainement, en relâchant le dévouement à Wagner. Le programme reprend même à contrepied avec une conclusion exaltée, à l'habileté démoniaque et au parfum d'absinthe. Le musicien se démène comme un beau diable pour la Méphisto-Valse de Liszt, exercice de style faustien qui pourrait signifier avec malice que l'envers de l'envers... n'est pas l'endroit.

Mais surtout, au public conquis, au critique médusé, Jonas Vitaud offre en bis deux gages de sérénité, maître mot de la fin de soirée, qui rendent plus évident encore le sage horizon des aventures wagnériennes perçu avant l'entracte. Clair de lune de Debussy est donné avec l'assurance et la sensibilité appréciées tout au long du récital, mais encore avec une éminente délicatesse nouvelle. Enfin, tout s'achève En rêve : le tout dernier nocturne écrit par Liszt tel une vignette animée recèle plus qu'un véritable apaisement, une timidité centrale, comme, peut-être, l'effacement résolu du compositeur avant de passer de vie à trépas. Son salut est tout trouvé, ce soir, au travers du récital poétique d'un grand musicien.

FC