Chroniques

par laurent bergnach

récital Jay Gottlieb
Antheil, Cage, Cowell, Crumb, Feldman et Ives

Auditorium de la Galerie Colbert, Paris
- 21 septembre 2012
récital Jay Gottlieb (Antheil, Cage, Cowell, Crumb, Feldman et Ives)
© dr

En cette rentrée musicale, les célébrations du centenaire John Cage se multiplient (au concert et au disque), si bien que ce trimestre sera l’occasion d’évoquer bien souvent le compositeur né à Los Angeles le 5 septembre 1912, mort le 12 août 1992 à New York. Parmi tant d’autres, Cage transatlantique est un hommage sous forme de colloque universitaire qui analyse certaines relations de l’Américain avec la France (Barthes, Boulez, etc.) [sur le même sujet, lire notre chronique du 21 mai 2006], chacune des trois copieuses journées d’interventions se terminant par un récital. Entre celui du Quatuor Hélios hier – Imaginary lanscape 1, Radio Music, Credo in Us ou encore 4'33''le tube absolu », dixit Peter Szendy) – et celui de Joëlle Léandre demain, ce vendredi propose d’entendre des contemporains de l’adepte du Yi-king sous les doigts de Jay Gottlieb.

À l’aîné Charles Ives (1874-1954) revient l’honneur d’ouvrir le programme avec sa brève Étude n°9 : The Anti-Abolitionist Riots, au côté sombre et inquiet qui n’empêche pas une avancée têtue, que l’on connaît sous les doigts du compositeur lui-même, puisqu’il l’a enregistré en mai 1938 et avril 1943 [lire notre critique du CD]. Hommage au mouvement philosophique des Transcendantalistes américains – lequel trouve son essence dans l’Idéalisme allemand (Kant, principalement) mâtiné de romantisme tardif et de spiritualisme mystique –, la Sonate pour piano n°2 « Concord, Mass., 1840-60 » ou Concord Sonata est une œuvre en quatre mouvements composée entre 1916 et 1919, créée en privé en 1938, puis révisée en 1947. Portant le patronyme d’Henry David Thoreau, l’auteur de Walden, la dernière portion est tout ce qu’il reste d’une œuvre perdue : Walden Sounds. On apprécie ses vaguelettes caressantes et impressionnistes, agitées de passages plus vifs et martelés. Elliott Carter et Henry Cowell (1897-1965) comptent parmi les premiers défenseurs du créateur de Central Park in the Dark. Du second, voici le rageur Tiger (1928), inspiré par William Blake et nécessitant de toniques frappes du poing et de l’avant-bras.

« Pour moi, explique Morton Feldman (1926-1987), le silence est aussi un substitut au contrepoint. C’est : rien contre quelque chose ». Hésitant et timide, calme et aéré, le magnifique Extension 3 (1952) offre de rares forte en fin de parcours, à faire sursauter l’auditeur assoupi. L’idée nous vient qu’une telle musique a pour héritiers des créateurs tels Colin Roche ou Anahit Simonian [lire notre critique du DVD]. Loin de cette musique méditative, Ophelia (1946) trahit, dans le sourire du début comme dans l’ironie funèbre finale, tout ce que Cage doit à Satie. Martiale et contrastée, la pièce profite au mieux du jeu nuancé du pianiste. C’est seulement après une Sonate n°2 « The Airplane » de George Antheil (1900-1959), qui s’apaise après avoir déployé son énergie virtuose, que le mycologue amateur, à travers In a Lansdscape (1948), cultive une tendre nostalgie aux accents asiatiques, sublimée par le toucher gracieux de Jay Gottlieb. Mais Water Music (1952) redonne place à la facétie, via un interprète qui transvase deux bols remplis d’eau, jette des cartes sur les cordes du piano ou s’empare d’un sifflet, plus qu’il n’enfonce les touches.

Le récital s’achève avec sept extraits de MakrokosmosCrucifixus, Proteus, Pastorale, Morning Music, Dream Images, Agnus Dei et Tora! Tora! Tora! –, parmi les vingt-quatre écrits par le benjamin George Crumb (né en 1929), en 1972 et 1973 [lire notre critique du CD]. L’auteur des Gnomic Variations a formé sa musique originale à partir des influences de Debussy (timbre, exotisme), de Webern (ascétisme, concision) mais aussi de Cage, si l’on en juge par la préparation du piano (feuilles de papier déposées sur les cordes, qui le transforme en cymbalum) et les performances physiques du pianiste (murmure ou cri). Avec plein de délicatesse et de pistes à explorer pour les minimatifs à venir – inventons hardiment cette alternative à minimaliste et répétitif ! –, Dream (1948), offert en bis, salue une dernière fois celui qui sut si bien conquérir les deux côtés de l’Atlantique. Signalons enfin que Gottlieb jouera de nouveau le répertoire américain les 8 novembre (Joplin, Copland, Wolpe, etc.) et 15 novembre (Brown, Bolcom, Glass, etc.).

LB