Chroniques

par nicolas grienenberger

récital Jacek Laszczkowski
airs de Vivaldi et de Händel

Les Grands Concerts Parisiens / Salle Gaveau, Paris
- 20 février 2008

Jacek Laszczkowski, voilà un nom connu des mélomanes mais encore trop peu du grand public, le nom d'un artiste qui mérite pourtant d'occuper la première place dans la sphère des falstettistes, ces hommes ayant choisi de tenter de rendre justice au répertoire des castrats. Ce soir, dans une salle à l'acoustique et à la proportion idéales pour cette musique, le chanteur polonais présente un programme composé de raretés händéliennes et vivaldiennes, modestement nommé Arie ritrovate (airs retrouvés).

Ce qui différencie Jacek Laszczkowski des contre-ténors tels que Philippe Jaroussky, Andreas Scholl ou David Daniels, plus médiatisés, c'est bel et bien sa nature d'authentique sopraniste qui le rend capable d'atteindre les aigus des soprani et, prouesse rare, de chanter la Reine de la nuit et ses suraigus meurtriers.

Mais ses vraies qualités ne résident pas dans les aigus stratosphériques ni les acrobaties vocales. Certes, les notes graves, à la limite de l'inaudible, laissent paraître sa véritable nature de ténor, et certaines attaques trahissent la difficulté qu'il rencontre à laisser de côté sa « voix pleine ». Car avant de découvrir son registre de fausset, il était bel et bien ténor et, aussi étrange que cela puisse paraître, il utilise parfois encore sa voix de poitrine en concert, à l'inverse de la plupart de ses collègues qui n'ont jamais travaillé une autre voix que leur falsetto.

Ce qui intrigue le plus dans cette voix, c'est le timbre.
Une fois passé le grave, le médium et l'aigu (surtout) éclatent avec le tranchant et l'épaisseur vocale d'un véritable soprano, plein et rond, loin de certaines stridences ou autres angélismes. La virtuosité est impressionnante, parfois même stupéfiante de facilité. Les vocalises sont exécutées sur le souffle, même à grande vitesse, prouesse rare, car un peu perdue, chez les chanteurs actuels. Les airs Ai Greci questa spada (extrait de Deidemia) et Nubiloso fra tempeste (extrait de Riccardo Primo), tous deux composés par Händel [lire notre critique sur la captation DVD de Teseo], et surtout l'inhumain Destin’ avaro tiré de La fida ninfa deVivaldi, démontrent bien la capacité du chanteur à se jouer des plus grandes difficultés techniques : coloratures, roulades, arpèges, sauts d'octaves, tout est accompli et maîtrisé avec une apparente facilité.

Ce qui fait la qualité de cette soirée, ce sont les airs lents et élégiaques. Piango dolente lo sposo (extrait d'Oreste) et Se potessero i sospir miei (Imeneo) de Händel sont des joyaux de délicatesse et de ligne vocale. Plus encore, les deux autres airs de La fida ninfa vivaldienne, Dolce fiamma et Tra inospite rupi, lui permettent de faire montre de pianissimi flottants et impalpables, d'une excellente technique de souffle, ainsi que d'une musicalité délectable et d'une inventivité musicale rare [sur ses contributions vivaldiennes, lire notre chronique du 23 mars 2003]. En bis, en plus de trois autres morceaux rechantés avec une générosité, une virtuosité et une émotion encore accrues, le sopraniste nous enchante avec Lascia la spina dont Händel se servira pour créer le célébrissime Lascia ch'io pianga de Rinaldo.

Aux côtés de Jacek Laszczkowski, le soutenant constamment, l'ensemble Dolce e Tempesta, composé simplement de deux violons, d'un violoncelle, d'une contrebasse et d'un clavecin – admirable Stefano Demicheli ! –, prouve ce qu'est le vrai plaisir de faire de la musique, avec deux concerti, l'un de Händel, l'autre de Vivaldi, joués avec une précision instrumentale et une musicalité superlatives. Loin de la médiatisation outrancière, ces artistes mettent en lumière l'authentique visage des musiciens : d'humbles artisans passionnés, heureux de porter l'art de la musique à son plus haut et plus beau niveau.

NG