Chroniques

par françois cavaillès

récital Inva Mula
Alphonse Cemin, piano

Debussy, Enescu, Gounod, Liszt, Massenet et Puccini
Opéra de Saint-Étienne
- 10 juin 2016
récital du soprano albanais Inva Mula à l'Opéra de Saint-Étienne, 10 juin 2016
© dr

Le récital d'un grand soprano à la poursuite d'une riche carrière peut, telle la rivière abondante suivant son cours vers l'océan, charrier son lot de sentiments mitigés. Émotions brutes, contemplation, dignité, vertige de la fuite du temps... Tout cela relève peut-être simplement de l'hommage, synthétique mais bien vivant, rempli d'admiration autant d'effroi. Mishima l'évoque d'ailleurs particulièrement bien dans une sublime nouvelle, Papillon (publiée en 1946 au Japon, et parue en français en 2003), inspiré par une performance de la chanteuse Tamaki Miura (1884-1946) de retour au pays natal, en soulignant notamment « l'effet du pouvoir mystérieux qu'avait cette excellente cantatrice, telle une magicienne, de faire naître des illusions à volonté ».

En compagnie du jeune et remarquable pianiste Alphonse Cemin, l’Albanaise Inva Mula laisse des impressions tout aussi marquantes de par ses talents d'interprète et les choix très touchants de son programme. Si expansive dès les premiers vers, Trois sonnets de Pétrarque mis en musique par Ferenc Liszt – est-ce l'art de modeler un timbre fin et chaud, serein et onctueux, ou bien trop de sensibilité à quelques chansons populaires rythmées et mélancoliques, ou à ce parfum d'amour maudit ?... Habitée par ce lyrisme italien, la voix magnétise déjà le public et fait du profond romantisme une offrande, une promesse.

Sitôt que jaillit une Valse oubliée de Liszt, étincelante et fluide, des doigts pleins de justesse et même d'humour d'Alphonse Cemin, les cœurs battent plus fort encore, emportés par la vitesse et le plaisir de ce morceau ponctué net, laissant alors comme un écho nostalgique. Viennent ensuite deux grands airs de Massenet, Adieu notre petite table (Manon) et Dis-moi que je suis belle (Thaïs), où la chanteuse aux yeux de louve excelle, divinement à l'aise dans ces merveilles du chant français, portant de tous ses traits la révolte, le bouleversement de ces quelques pages, jetant des flammes vocales de toute beauté et récoltant un tonnerre d'applaudissements. La voix se déploie enfin dans le calme d’Élégie de Massenet, nouvelle preuve d'amour de la poésie ancienne.

Puis un vrai sommet de la francophonie, en matière de grand art, paraît atteint avec quelques-unes des surprenantes, amusantes et fascinantes Sept chansons de Clément Marot. Composé par le Roumain George Enescu, il s'agit d'un trésor de poésie de France exhumé par de véritables bienfaiteurs de la nation – des artistes venus d'Europe de l'Est. Après un autre cadeau pianistique, Mouvement surgi des Images de Debussy, interprété en cascades rapides par Cemin, Puccini se taille la part du lion, à commencer par trois petites mélodies : Sole e amore, E l'uccellino et Terra e mare. Dans un italien de rêve, la voix brûle de passion en attaquant les airs, comme le corps accuse le drame. Ainsi Chi il bel sogno di Doretta, air de Magda dans La rondine, semble un exercice maîtrisé à la perfection.

Trois notes de piano suffisent ensuite à la reconnaître... c'est Mimi ! Le Donde lieta de La bohème devient monument de douleur, torsadé, avec le calme, la ferveur et la tristesse de ce terrible au revoir. Lancé dans un sourire victorieux, O mio babbino caro (Gianni Schicchi) a un goût d'évidence, avant que soufflée par l'air de Liù (Turandot), Tu che di gel sei cinta, l'incandescence d'Inva Mula ne fasse sauter les murs, tout en évoquant aussi l'exorcisme et le salut. Avec, en guise de rappels, les bonnes surprises de quelques mélodies albanaises, le tour est complet, ravissant voyage qui laisse à bon port, rayonnant de plaisir.

FC