Chroniques

par françois-xavier ajavon

récital Guillaume Martigné, violoncelle
Juliana Steinbach au piano

Festival Jeunes Talents / Archives nationales, Paris
- 25 juillet 2004
Guillaume Martigné au violoncelle et Juliana Steinbach au piano
© jeunes talents

À vingt-cinq ans, Guillaume Martigné (violoncelle) et Juliana Steinbach (piano) sont passés par le CNSM de Paris et ont déjà à leur actif une pléiade de prix internationaux et une vraie expérience de concertiste dans des formations diverses. La Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur Op.102 n°1, la quatrième de Beethoven, fut composée en 1815, soit plus de vingt-et-un ans après ses premières œuvres dans cette forme. Dès ses premières sonates, Beethoven sut émanciper le violoncelle du rôle secondaire d'accompagnement rythmique et harmonique qui fut précédemment le sien dans l'histoire de la musique, mais avec cet Opus 102 – de maturité, qu'il faut rattacher aux dernières sonates pour piano –, il s'attaque à des problèmes « modernes », notamment en maintenant l'Adagio dans une incertitude tonale, griffée de coups d'archets violents dans les basses. Fougueux, assez « chien fou », parfois même agressif, Guillaume Martigné n'hésite pas à se mesurer à cette page avec laquelle il entre en communion à travers son esthétique heurtée et ses contours acerbes. On en sort plus beethovéniens que jamais, quoiqu’ apaisés par une catharsis sonore débridée.

La Sonate pour violoncelle et piano Op.119 de Sergueï Prokofiev fut créée en 1950 par Mstislav Rostropovitch et Sviatoslav Richter dans la salle du conservatoire de Moscou, en présence du compositeur. La radio soviétique eut la bonne idée de réaliser un enregistrement de cette création, ce qui permit son édition discographique dans le coffret The Russian Years du violoncelliste russe (EMI) – document musical et politique inestimable... Encore faut-il ne pas l’écouter avant d’aller au concert ! La lecture de Martigné est fougueuse, vivante, mais certainement trop théâtrale pour ne pas échapper au superficiel. Car cette œuvre n’est pas d’un joyeux Prokofiev, comme tente de nous la présenter le talentueux jeune homme, mais au contraire une partition tragique, composée par un musicien en fin de course, confronté à la maladie et à l'ambiance politique nauséabonde de l'après grande guerre patriotique, dans une URSS où Staline exercerait encore trois années durant ses pressions sur les artistes. Au delà de la brillance apparente de cette sonate circule un profond lyrisme sous-jacent, comme traqué. Martigné passe à côté de cette angoisse où Rostropovitch était chez lui.

Après l'entracte (la nuit commençant à tomber sur la cour de l'hôtel de Rohan) les interprètes semblent s'émanciper – à la faveur de l'atmosphère et du répertoire ? – et prendre un réel plaisir communicatif à jouer. La connexion romantique Schumann-Brahms est cohérente et le duo laisse libre court à l’expressivité et à une sensibilité soutenue par de solides bases techniques. Après les Adagio et Allegro Op.70 de Robert Schumann, ils s’attaquent à la Sonate pour violoncelle et piano en fa majeur Op.99 de Brahms. Cette vaste pièce de 1886 en quatre mouvements, très structurée et pleine de lyrisme, est une vraie démonstration de « reprise en main »et de transcendance du romantisme allemand. La partition laisse à la Brésilienne Juliana Steinbach (formée à Lyon et à Paris) l'occasion de s'exprimer pleinement tout en démontrant sa maîtrise. À l'Allegro vivace, son jeu imprime une sobriété et une retenue qui le servent parfaitement. Dans l’Adagio affectuoso, c'est Guillaume Martigné qui, ne confondant pas affection et effusion, offre un pur moment de magie qui rendrait inintelligible la question fameuse de Françoise… Le quatrième mouvement, donnant progressivement à une plaisante ritournelle allemande un niveau parfaitement universel, emporte l’écoute dans son enthousiasme retenu.

Réussite totale pour ces jeunes artistes qui livrent en bis la Rhapsodie hongroise Op.68 de David Popper (1894), à la gloire de la virtuosité et de l'âme tzigane. Le violoncelliste et professeur Popper (1843-1913) a laissé un modeste catalogue consacré à son instrument. L’interprétation de ce dimanche soir est pleine de vie, de vigueur et d'une virtuosité presque virile, et recueille du public du Festival Jeunes Talents une ovation bien méritée. Comme quoi il y a toujours matière à alimenter sa mélomanie en région parisienne, même un week-end ensoleillée d'arrivée du Tour de France ! Vive Lance Armstrong et le violoncelle…

FXA