Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Gérard Lesnes
œuvres de Charpentier, Dowland, Lambert et Purcell

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade
- 1er septembre 2005
récital de l'alto Gérard Lesnes au festival Sinfonia en Périgord
© dr

De part et d’autre d’une table centrale où reposent partitions et chandeliers, qui sur un opulent fauteuil inclassable, qui sur une haute chaise, devant la robe bienveillante d’un clavecin, deux musiciens offrent un moment intense autant qu’intime, dans une ambiance simple et chaleureuse. Ayres et airs variés réunit Albion et France, sur une terre où la querelle centenaire fut jadis si vive.

Dès In darkness let me de John Dowland, l’auditoire est saisi par le dessin ciselé d’une interprétation raffinée dont ravit la force expressive. À l’intelligence du texte – en remarquable diseur, il fera sonner « black », par exemple, avec un à-propos idéal –, Gérard Lesne sait ajouter le génie du style. De même Benjamin Perrot offre-t-il une articulation élégante, particulièrement dans Now, O now, soulignant à peine la conduite impeccable du chant. À l’heure actuelle, le grand alto affirme une maîtrise exemplaire de son art, et si la voix n’a certes plus l’éclat d’antan, la technique n’en est que plus attentive, dans une sorte d’extraordinaire « actualité » de chaque propos. Ainsi le chanteur profite-t-il naturellement du matériau que lui livre Come again, sweet love et toutes ces Songs sans surenchérir jamais l’effet, avec une magique évidence, atteignant un dépouillement qui confère à l’épure, belle comme un désert de légende.

Après le dense solo Fortune, la voix s’aventure dans l’univers d’Henry Purcell avec In Cloris all soft charms agree où elle raconte une histoire, laissant mesurer à quel point il demeure irremplaçable de pouvoir suivre pas à pas un texte qui semble s’inventer sous vos yeux. L’inimaginable sensibilité goûtée avec What a sad fate is mine fait largement oublier quelques signes de légère fatigue, le théorbe s’y faisant lui-même, à sa manière, conteur. Tout en respectant la réserve d’une musique qui touche l’affect sans le livrer en pâture, l’interprétation transmet une émotion indéniable, partant que l’alternance de pièces de caractères variés dans un programme astucieusement choisi maintient la salle dans une permanente concentration. Moins souple dans While Thirsis, wrapp’d in downy sleep, la voix retrouve sa clarté dans A thousand sev'ral ways I tried, avant d’achever la célébrissime Music for a while sur un fil qui ose avec bonheur la fragilité.

Ce récital se fait l’écho de deux parutions discographiques (Naïve) : l’enregistrement de musique anglaise publié l’an dernier et celui consacré à Charpentier qu’on trouvera dans les bacs l’an prochain. Les Chansons de Marc-Antoine Charpentier bénéficient de cette même présence immense au texte, sans maniérer jamais la diction du français. Au contraire, on y remarque une exactitude simple, engendrée par le raffinement le plus savoureux. Dans cette suite de chroniques amoureuses désolées qui laisse libre cours au chagrin comme à l’amertume, Gérard Lesne, gérant l’impact vocal avec une effrayante lucidité tout en s’engageant en honnête hommedans l’interprétation, use de tous les atouts expressifs, jusqu’à la fatigue et l’enrouement que son chant sait ne pas vivre comme des handicapes. Enfin, dans la Chaconne au théorbe, Benjamin Perrot réussit à colorer, à créer l’illusion d’une diversité instrumentale inattendue, tout en conduisant une mélodie nourrie.

Les airs empruntés à l’œuvre de Michel Lambert sont moins avantagés, le chanteur souffrant à ce moment précis de soucis cumulés. Mais le phénix renaît, paradoxalement, dans le recueillement de la sombre Plainte sur la mort de Monsieur Lambert de Jacques du Buisson, sans conteste une des plus belles choses entendues aujourd’hui. En bis, Gérard Lesne et Benjamin Perrot invitent notre écoute vers le sud, prenant ainsi congé d’un public enthousiaste.

BB