Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Florent Boffard
Bach, Benjamin, Schönberg et Stroppa

ManiFeste / Ircam, Paris
- 26 juin 2014
le compositeur italien Marco Stroppa, joué par florent Boffard à l'IRCAM
© dr

Dans le modèle des parcours de miniatures que purent proposer les époux Kurtág, par exemple, tout en affirmant une démarche didactique qui se garde de gloser à la manière de ceux d’un Aimard, le pianiste Florent Boffard donne une première partie de récital qui met en regard Schönberg et Bach, révélant clairement ce qu’il reste de l’ainé dans l’inventivité du Viennois. Ainsi trouvera-t-on ici les Fünf Klavierstücke Op.23 ponctuées par des pages du Cantor choisies en ce sens. Dans le noir presque intégral, ce nouveau rendez-vous du festival ManiFeste débute dans un climat infiniment concentré.

Le résultat demeure cependant en-deçà de la promesse. Car si l’œuvre d’Arnold Schönberg bénéficie d’une interprétation remarquable à plus d’un titre – rondeur de la sonorité, précision d’une articulation leste, gestion somptueuse de la dynamique, etc. –, la musique de Bach s’avère crument exécutée. Les Inventions en fa mineur BWV 795 n9 et en si bémol majeur BWV 800 n°14 cogne dur et sans éclat. On goûte cependant l’Andante de la Sonate en trio en mi mineur BW 528 n°4, transcrit par l’artiste lui-même, et qu’il joue en brimant à peine la tentation du chant.

Après cet introït consacré à la musique « ancienne », nous retrouvons nos contemporains avec les « six préludes canoniques » de Shadowlines, conçus par George Benjamin en 2001. La version de ce soir se garde de trop donner à lire l’œuvre qu’elle sert d’un toucher toujours subtil, d’une extrême exactitude de la nuance. Dans une tendresse éthérée, les derniers moments se décolore avec une poésie rare.

Enfin, Marco Stroppa [photo] ! Du Libro primo per pianoforte d’amore de ses Miniature estrose (1991-2001; révision en 2009), Florent Boffard donne Innige cavatine dans un halo délicat de cymbalum où se dépose, comme par une sédimentation secrète, les bribes de la Cavatina de l’opus 130 de Beethoven (Quatuor à cordes en si bémol majeur n°13, 1825), bientôt « brodées avec un soin d’orfèvre » dit le compositeur. Lui répond, en guise de conclusion, Traiettoria…deviata, une pièce de 1984 (révisée quatre ans plus tard) qui scelle les recherches passionnantes de Stroppa en matière pianistique [lire notre chronique du 12 janvier 2005]. À la réentendre ce soir, on prolonge plus certainement l’approche qu’ont put avoir de ses œuvres plus récentes – notamment Segui [lire notre chronique du 17 juin 2009] et l’opéra Re Orso.

BB