Chroniques

par marc develey

récital Evgueni Koroliov
œuvres de Beethoven, Debussy, Haydn et Prokofiev

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 25 avril 2007
Evgueni Koroliov en récital au Théâtre des Champs-Élysées (Paris)
© dr

Avec les Variations en fa mineur Hob. XVII/6 de Joseph Haydn, c’est d’emblée un piano d’une grande intériorité qui s’annonce. Subtilement schubertienne, l’articulation d’Evgueni Koroliov reste fidèle à la facture classique de la partition. Le son moelleux de l’exposition n’est pas incompatible avec la grande rectitude du phrasé et des gruppetti, pas plus que la souplesse des glissandos n’entame la sobriété de la première variation. D’une belle élégance, les numéros suivants mènent lentement au pathos plus marqué d’un final qui, dans les forte, laisse se déployer librement l’émotion jusqu’ici contenue.

La Sonate en la majeur Op.101 n°28 de Ludwig van Beethoven fait son lit de ce style subtilement ascétique. Le rubato schubertien de l’Allegro ma non troppo gouverne un lyrisme retenu, menacé souvent d’échapper au pianiste, toujours contenu dans les limites d’un jeu sans l’ombre d’une préciosité. Ouvert sur un staccato de belle tenue, le Vivace alla marcia souffre parfois de quelques résonances malvenues et d’une main gauche qui, à se montrer toujours fort mesurée, peut se faire parfois un peu trop discrète – style qui au demeurant fait merveille dans le déroulé recitativo de l’Allegro ma non troppo con affetto. La folie du mouvement final est de belle tenue, sans excès mais d’un engagement qui, pour rester classique, n’en est pas moins sans équivoque. Quelque chose de Bach sonne dans le traitement des appoggiatures de la fugue. Sur l’ensemble, la gestion des contrastes est remarquable d’équilibre et de clarté, sans qu’on n’y lise jamais un excès de projection émotionnelle.

Quelques Préludes de Claude Debussy ouvrent la seconde partie du concert. Du Livre I, Des pas sur la neige sonnent lointains. Ici et là, plus présente, une note s’impose et revient au silence du tapis ostinato des basses. On retrouve ce climat distancié dans la Sérénade interrompue dont quelques brusqueries clairement affirmées troublent fort justement la tendresse. Vivement menée sur une basse dansante, une très sérieuse Danse de Puck réveille des échos moussorgskiens, tandis que Minstrels laisse entendre un jeu contrasté dans une grande réserve d’ensemble. Du Livre II, le balancement sobrement lyrique de Canope déploie quelque chose d’une gymnopédie dans un élégant et discret rubato, malgré un son parfois un peu gras. À la belle légèreté des Tierces alternées fait suite la dynamique saisissante des Feux d’artifice : le lacis inquiet des intervalles de seconde, les glissandos et perlés sans ostentation, la grande maîtrise des mezzo piano, tissent dans l’infime une page sans affèterie musicalement « engagée ».

Mais de ce concert, on retiendra surtout l’extraordinaire Sonate en ré mineur Op.14 n°2 deSergueï Prokofiev. Travaillée en rondeur, la pâte sonore, quoique dense, préserve la souplesse du chant. Dans un registre moins lointain qu’entendu dans les pièces précédentes, l’émotion vibre de réserve, portée par une main droite déliée. La tenue du son, l’impressionnante maîtrise de sa dynamique dans le lent avènement des crescendos, dramatiques plus qu’émotionnels, jusqu’aux forte réjouissants d’un final tour à tour explosif, dansant et leste, témoignent, s’il le fallait encore, d’un piano dont l’intériorité de jeu est tout sauf artifice.

Ce beau concert s’achève sur la générosité de quatre bis qui laissent apercevoir ce que les partitions garde secret, parfois au mépris des habitudes d’interprétation en vogue – nous songeons en particulier à ces si singulières pages de Bach, toutes de legato et rubato, dont l’effet, pour n’en être pas baroque au sens où nous nous sommes habitués à l’entendre, n’en témoignent pas moins d’une réelle lecture de la partition.

MD