Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Elena Rozanova

Théâtre du Châtelet, Paris
- 3 février 2003
La jeune pianiste russe Elena Rozanova
© dr

Il est une heure moins le quart dans le foyer du Théâtre du Châtelet quand entre en scène une jeune femme à l'allure vive, peut-être pressée, peut-être timide (qui sait ?), sans tralala, toute simple, au salut rapide et profond. C'est Elena Rozanova qui s'installe au piano et, sans le temps de dire ouf, réveille l'assistance des accords violents du Noël des Vingt regards sur l'enfant Jésus d’Olivier Messiaen qu'elle jouera dans un grand souffle et en soignant méticuleusement les aigus d'un instrument qui ne les a pas flatteurs ni faciles, on le sait. Ce choix vient alimenter nos questionnements quant à l'intérêt croissant que semblent accorder à l'œuvre du maître français les jeunes pianistes russes. Après Anatoli Ugorski il y a quelques années, ce sont aujourd'hui Ilya Itin, Olga Kern et Elena Rozanova qui donnent régulièrement ses pièces – d'une façon très différente des interprétations des artistes français.

Après ce préambule tendu et spectaculaire, Elena Rozanova se lance dans la musique de Janáček avec Dans les brumes où elle offre une rare homogénéité sonore et un moelleux fort soigné. On lui reprochera cependant une raideur dans l'articulation de la pédale qu'elle ne parviendra pas, de tout ce récital, à apprivoiser. Dans l'ensemble, son jeu affirme une grande tenue, sans emphase. L'Andantino (quatrième pièce) se montre remarquable.

Enfin, elle présente l'Opus 16 de Rachmaninov dans un respect absolu des indications de tempi, sans rubati, avec un Allegretto d'un mouvement parfait, un Andante cantabile distillé à souhait, un Maestoso toujours à la frontière non franchie entre l'espressivo et la vulgarité, sans jamais céder à celle-ci. L'interprétation est très nuancée tout en maintenant une certaine dignité. Les enchaînements entre les six Moments musicaux sont un peu asphyxiants, de sorte que l'on se sent plutôt pressé à leur écoute. Mais tout cela s'aérera avec le temps. Le plus important reste d'avoir pu goûter un jeu délicat et intelligent, sans chichis, avançant comme un fleuve, inexorablement, sans changer de débit, dans une sorte de belle hargne triste.

Elena Rozanova quitte le public du Châtelet avec l'Erlkönig de Schubert transcrit par Liszt en guise de bis. C'est une version à la dynamique délicatement chantée qu'elle en délivre.

BB