Chroniques

par bertrand bolognesi

récital de la jeune pianiste russe Olga Kern
Balakirev, Rachmaninov, Scriabine et Taneïev

Salle des Fêtes du Musée d’Orsay, Paris
- 20 janvier 2004
la jeune et talentueuse pianiste russe Olga Kern, en récital au Musée d'Orsay
© dr

Il n’est pas si fréquent de rencontrer talent, sensibilité, perfection technique, énergie époustouflante et charisme souriant en une seule personne. Olga Kern,qui réunit ces atouts, donne aujourd’hui un récital qui laisse pantois – s’il vous en souvient, nous vous avons présenté, il y a quelques semaines, son bel enregistrement du Concerto Op.23 de Tchaïkovski [lire notre critique CD]. Issue d’une impressionnante lignée de musiciens de haut niveau, Olga Kern s’exprime avec un art évident. Elle offre à Paris un programme russe qui lui est naturel.

Pour commencer, les Variations sur un thème de Corelli Op.42 écrites par Rachmaninov en 1931, lors d’un séjour en France. L’interprétation est contrastée, avec mesure et élégance, sans excès, et souligne, sans céder à une théâtralité trop souvent de mise, le relief et le caractère de chaque variation. Olga Kern rend tour à tour farouche, espiègle, dramatique, élégiaque, mélancolique ou brutale cette succession de vingt extrapolations sur La Folia. Attention, cependant, à une utilisation parfois légèrement brutale de la pédale ; cela dit, l’instrument est un Steinway, et Steinway reste-t-il (le jour viendra peut-être où d’autres pianos seront présents sur nos scènes, offrant des couleurs et une sonorité moins limitées – c’est un autre sujet)…

Sergueï Taneïev est moins joué en France. Cet élève de Tchaïkovski produisit de nombreuses pages chambristes, quelques symphonies influencées par les maîtres allemands, des concerti ainsi qu’une fort intéressante Orestie, opéra sur la tragédie des Atrides. Le Prélude et Fugue Op.29 date de 1910 : c’est une pièce de la maturité où le compositeur affirme une parfaite maîtrise de son langage. Olga Kern livre une lecture colorée et poétique du Prélude, dans une sonorité infiniment délicate et tendre, pour surprendre ensuite par une Fugue très articulée, à la fois vertigineuse et nuancée.

En juillet 2002, la jeune pianiste russe avait donné la Sonate Op. 68 n°9 « Messe Noire »d’Alexandre Scriabine au Festival de Radio France et de Montpellier ; on se souvient d’une exécution délicate, fougueuse autant que spirituelle. Aujourd’hui, elle propose une interprétation un brin plus rapide, imposant le mystère de l’œuvre d’une façon saisissante, sans ménager l’auditeur, littéralement happé par son jeu quasi hypnotique. Ce qui frappe dans les Études Op.42 n°4 et n°5 qui s’ensuivent, c’est la concentration et l’énergie d’Olga Kern : incomparables.

Enfin, la redoutable fantaisie Islamey,écrite par Mily Balakirev en 1869, vient clore cet intense moment de musique. Olga Kern ne se contente pas de répondre avec maestria à l’exigence d’extrême virtuosité de la pièce : elle charme le public par sa vision envoûtante qui révèle savamment l’harmonie complexe de l’œuvre et décline des timbres orchestraux d’une grande richesse.

Généreuse, elle remercie par deux bis une assemblée enthousiaste : une Danse russe de Moussorgski et la Quatrième Étude de Prokofiev, élégantes, facétieuses et un rien sauvageonnes. Pour sûr, Olga Kern est l’une des plus grandes pianistes d’aujourd’hui.

BB