Chroniques

par bertrand bolognesi

récital de la harpiste Lavinia Meijer

Cité de la musique, Paris
- 14 janvier 2007
la jeune harpiste Lavinia Meijer en récital à la Cité de la musique (Paris)
© dr

Dans le cadre des concerts Rising Stars proposés par l’European Concert Hall Organisation à laquelle de prestigieuses salles sont associées (dont la Cité de la musique), nous entendons une harpiste de vingt-quatre ans, formée aux conservatoires d’Utrecht et d’Amsterdam : Lavinia Meijer. Saluée par de nombreux prix, la jeune femme commence une belle carrière de soliste qui la mène aux quatre points du globe. Remarquons d’emblée les choix judicieux de son programme qui lui permet de révéler tant les diverses facettes de son art que de nombreux aspects du répertoire. Outre la conduite exemplaire du récital, saluons en la cohérence, la sensibilité et la générosité.

Du Tchèque Jan Ladislav Dusík – l’on dit aussi Dussek –, elle donne la Sonateen mi bémol majeur dont elle ouvre l’Allegro d’une pâte sonore étonnante et égale sur toute l’étendue de la tessiture. L’on saisit immédiatement la virtuosité de l’artiste, même si le legato reste encore un peu maigre sur ce début. L’Andantino s’articule dans une saine respiration, tandis que la fluidité convaincante du Rondo en impose. Dans l’ensemble, cette première approche témoigne d’un beau travail de nuances, d’un grain riche, d’un certain « confort » qui offrent d’immenses possibilités à Lavinia Meijer. Deux transcriptions, l’une d’un Prélude et fugue de Bach, l’autre d’une Sonate de Scarlatti, font apprécier la précision de la narration, la souplesse du chant et l’intelligence de la coloration, à travers des ornements qui imitent à s’y méprendre le rendu d’un pianoforte. L’affirmation d’un lyrisme inspiré sert à merveille l’incontournable Châtelaine en sa tour de Fauré.

Des opus plus surprenants sont l’occasion de profiter pleinement de la riche couleur de la harpe Lyon and Healy choisie (et savamment utilisée) par l’artiste. Les Variations Op.30 de Salzedo en montrent d’abord la ferme opulence, l’éclat et le panache, la musicienne y ciselant certains moments gracieusement méditatifs d’un louable raffinement d’expression. Si l’exécution de la facétieuse Sonate de Tailleferre s’avère moins réussie, deux raretés captivent l’oreille.

Après avoir fait remarquer que les mains des harpistes avancent sur les cordes comme des araignées sur une toile, le compositeur britannique Paul Patterson se fait piquer par la redoutable araignée à dos rouge (Latrodectus hasselti), lors d’un voyage. L’idée lui vient alors d’écrire Spiders, suite pour harpe dont les plus venimeux spécimens de charmants arachnéens ont inspiré chacun des quatre mouvements. Obstinée et insistante, The Dancing White Lady – comprendre Leucorchestris arenicola des déserts chauds – trouve sous les doigts de Lavinia Meijer une démarche capricieuse et contrastée. The Red-backed Spider évoquée plus haut se montre énigmatique, bondissante et fort brève, peut-être parce que la belle en question compte à peine un centimètre, toutes pattes déployées ! L’interprète accorde une sonorité plus masquée et une fatale majesté à la lenteur sournoise par laquelle l’auteur dessine un joli mygalomorphe américain, The Back Widow, la plus célèbre de ses tueuses. Elle brille dans la danse nerveuse et follement tournoyante de Tarentula avec laquelle Patterson rejoint une vieille tradition musicale.

De Garrett Byrnes, musicien étatsunien âgé de trente-six ans, Lavinia Meijer joue Visions in Twillight, une pièce dont l’abus d’effets sert sans doute les candidats du concours pour lequel elle fut écrite. Enfin, c’est surtout dans la Légende (d’après Les Elfes de Leconte de Lisle) imaginée par Henriette Renié en 1903 qu’en peignant somptueusement le paysage, décrivant la situation, illustrant les sentiments et menant radicalement la tension dramatique, elle livre le meilleur d’elle-même. Ainsi rend-elle un bel hommage à cette compositrice encore méconnue des mélomanes – une femme qui compta beaucoup dans l’histoire de la harpe.

BB