Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ashley Wass
Alwyn, Bax et Bridge

The Midsummer Festival / Château d’Hardelot
- 18 juin 2011
© remi vimont

Entendu vendredi soir [lire notre chronique] dans trois extraits des Années de pèlerinage de Ferenc Liszt – dont le papa, décédé sur cette côte au retour du troisième séjour londonien du jeune compositeur, repose au cimetière de Boulogne-sur-Mer, tout près d’ici –, le pianiste Ashley Wass ne se contente pas d’exécuter ce que l’on appelle le répertoire, mais encore se fait l’ardent défenseur de la musique de son pays. Remarqué lors de son interprétation du rare Concerto de Ralph Vaughan Williams aux Prom’s en 2008, il enregistre des pièces encore peu connues du XXe siècle anglais.

Le programme de ce récital témoigne largement de cet engagement. Quel Français peut s’enorgueillir d’avoir entendu au concert la musique de William Alwyn, par exemple ? À ce flûtiste (disparu en 1985) qui écrivit beaucoup pour son instrument, outre trois symphonies, l’on doit un Concerto pour harpe et quelques partitions pour le septième art, ainsi que la Sonataalla Toccata. Conçue en 1946, elle impose d’emblée une énergie indicible, au sortir de la guerre, comme l’indication de son premier mouvement le suggère – Maestoso : Allegro ritmico e jubilante. D’abord un rien tendue, le jeu d’Ashley Wass se libère bientôt au fil d’un remarquable travail de la dynamique, affirmant un grand relief à son articulation. La couleur n’est pas éloignée de ce qu’un Milhaud imagina pour le piano à la même époque. D’un caractère méditatif, l’Andante central, précisé con moto e semplice, bénéficie de subtiles demi-teintes. Le bondissant Molto vivace conclusif s’avère, quant à lui, particulièrement impacté sous les doigts de Wass, et toujours très exactement nuancé. L’on en goûte le rendu orchestral et, plus évident encore, l’aspect choral de la variation.

D’Arnold Bax, aîné d’une vingtaine d’année d’Alwyn, Ashley Wass a gravé une intégrale de la musique pour piano (chez Naxos). Né quand s’éteignit Wagner, Bax s’exprima d’abord par cet instrument auquel il a dédié de nombreuses pages, parfois inspirées de la littérature (de facto, le compositeur publierait également, sous nom d’emprunt, une œuvre poétique et romanesque, volontiers placée dans le souvenir de Yeats), des légendes et du folklore de l’Irlande où il s’installa après avoir parcouru l’Europe. Car il fut grand voyageur, tant par la géographie que par l’écoute, toujours curieux de tout et de tous. La Sonateen fa # mineur n°1 « Fantaisie symphonie », conçue en 1910, ouvre un respectable corpus qui en comptera quatre au final (et dont la composition s’échelonne jusqu’en 1934). Plusieurs influences se conjuguent dans l’introductif Not too fast and every decisive in rhythm de l’Allegro passionato : Liszt, dans un romantisme qu’on jurerait digéré par Dohnányi, mais aussi Rachmaninov, tant pour la fougue déflagrante que pour l’emploi de typiques volées de cloches. Il faut dire que cet opus fut composé pendant un séjour en Ukraine : on peut donc légitimement supposer que Bax ait à la fois entendu un certain « paysage sonore », comme l’on dit aujourd’hui, non dénué de ponctuations campanaires, en ces années-là, et quelques exemples de la production de ses contemporains slaves. Dans cette sonate, on rencontre un héritage romantique dont le lyrisme épique, encore proche d’Elgar, s’ébouriffe jusqu’au symbolisme (l’auteur jouait l’année précédente quelques Préludes de Debussy… à Debussy !) : n’est-ce pas identifier Medtner (qui ne s’exilerait à Londres que treize ans plus tard) et Liadov sur un chemin qu’eux-mêmes n’auraient vraisemblablement pas partagé ? Vigueur et sensibilité habitent idéalement le jeu d’Ashley Wass qui signe une interprétation passionnante. Des trois mouvements enchaînés, sans doute le Lento central est-il le plus russe, adoptant certains traits de Glazounov comme Vaughan Williams emprunterait aux Hongrois (Bartók et Kodály) dans certains opus tardifs pour chœur et orchestre. L’exécution du dernier mouvement est littéralement sculptée dans le clavier, avec un ostinato diablement percussif qui révèle l’étonnante main gauche de Wass jusqu’au virtuose Broad and triumphant conclusif.

Ce fort beau récital s’achève avec la vaste Sonate de Frank Bridge aux accents plus précisément « modernes ». Pour s’inscrire assez clairement dans la continuation debussyste, cette page de 1925 partage avec la précédente une russité particulière : celle, autrement plus novatrice et féconde, de Scriabine. Après un Lento ma non troppo flottant dans un nuancier tendre à la respiration sereine survient un Allegro energico intense que le pianiste sert d’une ferveur fougueuse. La palette expressive se révèle plus riche encore dans l’Andante suivant, stimulant incroyablement l’écoute. Des quatre mouvements, le dernier abuse complaisamment des redites et autocitations, bouclant assez lourdement une boucle qui aurait peut-être gagnée à ne l’être pas… Ashley Wass n’omet aucun aspect d’une œuvre éprouvante à plus d’un titre qu’il sert magnifiquement.

BB