Chroniques

par laurent bergnach

quintettes français des années vingt
œuvres de Cras, Ropartz et Roussel

Auditourium d’Orsay, Paris
- 3 avril 2012
Cras, Ropartz et Roussel par le Trio Euterpe
© lovis corinth | meer bei la spezia

Tandis qu’une exposition explore les liens unissant Debussy aux arts visuels les plus en marge des académismes de son époque (La musique et les arts, du 22 février au 11 juin), le Musée d’Orsay propose plusieurs rendez-vous sonores en parallèle. Depuis janvier, l’Auditorium fit ainsi entendre Ravel et Fauré – notamment dans des transcriptions pour octuor de violoncelles –, mais aussi des compositeurs plus rares comme Chaminade et Lenormand. Si Debussy n’est pas interprété aujourd’hui, c’est sa Sonate pour flûte, alto et harpe (1915) qui inspira au flûtiste René Le Roy (1898-1985) la fondation du Quintette Instrumental de Paris (1922) – lequel deviendrait Quintette Pierre Jamet (1945). Avant la fin des années vingt, celui-ci suscita la création des trois œuvres choisies par le Trio Euterpe (Jean-Pierre Lacour au violon, Denis Bouez à l’alto et François Michel au violoncelle), qu’entourent le flûtiste Michel Moraguès et la harpiste Pauline Haas, devant une salle de mélomanes respectueux venus en nombre.

Premier compositeur joué, Albert Roussel (1869-1937) suit les cours d’orchestration de Vincent d’Indy (dont il subit l’influence en début de carrière, avec celle de Debussy) avant d’enseigner à son tour (Goué, Le Flem, Satie, Varèse mais aussi Krása et Martinů, parmi tant d’autres). C’est en 1925 qu’il compose sa Sérénade en ut majeur Op.30 pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe. La difficulté à la cerner – « est-elle postromantique, impressionniste ou néo-classique ? », s’interroge Nicolas Southon, dans la note de programme – témoigne de l’originalité d’un créateur rétif aux emprunts pittoresques et folkloriques. Bringuebalant entre champêtre et fantastique, l’Allegro initial hésite entre fraîcheur et pénombre, opposant un alto rêche à un violoncelle onctueux. Lumineuse dès le départ, la flûte domine ensuite l’Andante par son lyrisme, dans un climat contemplatif. Les sinuosités douces-amères des cordes participent au Presto vif, parfois bondissant, comme une danse d’Europe Centrale.

Revenu mourir dans ces Côtes-du-Nord qui l’ont vu naître, Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) fait de la Bretagne océane et religieuse une source d’inspiration récurrente, d’autant que son statut de directeur de conservatoire l’entraîne à Nancy puis à Strasbourg durant une bonne trentaine d’années (de 1894 à 1929). Loin des valses et mazurkas jouées « au bordel » par le natif de Guingamp durant sa jeunesse (dixit son ami Albéric Magnard), Prélude, Marine et Chansons (1928) endigue cette nostalgie mélancolique déjà présente dans Le pays (1910). Un climat désolé tire partie du cristal de la harpe et de la flûte pour s’éclairer peu à peu, jusqu’à évoquer un sourire triste. Sentimental et délicat, le mouvement médian privilégie une certaine immobilité, telle une parenthèse édénique. Dominant à tour de rôle en solo ou en duo, les instruments donnent du relief au finale mouvementé qui cite le vieux noël breton Peh trouz zo ar en douar (Quel est ce bruit sur la terre ?).

En 1905, Henri Duparc écrit à son dévoué Jean Cras (1879-1932) : « J’estime qu’il n’est nullement nécessaire à un homme doué d’avoir un professeur, par cette raison qu’un professeur n’est en réalité qu’un guide et un vérificateur : ce n’est pas lui, mais votre travail personnel qui vous perfectionne dans le métier » (in Lettres à Jean Cras, Symétrie, 2009). Au service de la Marine comme le fut un temps Roussel, le Brestois autodidacte compose en dilettante, avec son aîné comme lien quasi unique avec le monde artistique. En 1927, naviguant au large de l’Afrique, il entreprend l’écriture d’un quintette achevé en 1928 et créé deux ans plus tard. Tendrement échevelé, le premier mouvement (Assez animé) offre une osmose sereine avec un univers de vagues et de soleil, suivi par un deuxième (Animé) tout aussi apaisé malgré des touches inquiètes. L’avant-dernier (Assez lent) semble évoquer un calme nocturne, tandis que l’ultime mouvement (Très animé), avec ses nombreux pizz’ et sa tranquillité sautillante, rende compte d’une joie de vivre avec simplicité.

LB