Chroniques

par bertrand bolognesi

Quatuor Takács
Beethoven, Dvořák et Mendelssohn

Théâtre de la Ville, Paris
- 29 novembre 2003

Les quartettistes hongrois donnent samedi après-midi un fort beau concert au Théâtre de la Ville. Depuis 1975, le Quatuor Takács offre partout dans le monde une personnalité à nulle autre pareille, à la fois discrète et expressive qu’on reconnaît à tout coup. Aujourd’hui, il ouvre un programme généreux avec le Quatuor en mi bémol majeur Op.51 n°10 d’Antonín Dvořák. Lorsqu’il achève cette partition en 1879 pour l’alors célèbre Quatuor Fiorentino, le compositeur est en pleine possession de sa technique. Il intègre les éléments d’inspiration populaire à la grande forme classique, produisant une œuvre d’une richesse particulière, qui rebondit de passages méditatifs en danses endiablées.

Dès les premières mesures de l’Allegro non troppo initial, frappe le choix judicieux d’une sonorité délicate, et même fragile, qui se développe dans un lyrisme à peine plus rond pour la Dumka qui suit, bénéficiant des beaux échanges entre l’altiste Roger Tapping et le violoncelle de András Fejér. La Romanza évoque plus directement une touffeur estivale, empêchant tout effort, renouant avec la précarité volontaire du premier mouvement. Après ces trois parties, le Finale s’avère parfaitement équilibré, dans une sonorité qui fait se rejoindre le romantisme du second mouvement et l’élégance à fleur de peau des deux autres, articulant les soubresauts presque drôles d’une Skočná enjouée dans une souplesse nuancée. Nous le disions en préambule : le Takácsne se pourrait comparer à qui que ce soit ; cependant, la sensibilité avec laquelle il donne ici le Quatuor slave pourra rappeler le travail d’une autre formation, tchèque celle-ci, le Quatuor Panocha, créé la même année à Prague que Takácsà Budapest.

Faisant un bon en arrière d’une soixantaine d’année, les Takács donnent ensuite le Quatuor en fa mineur n°11 Op.95 que Ludwig van Beethoven intitula lui-même Quartetto serioso. C’est sous l’impulsion de l’enthousiaste Bettina Brentano que le compositeur écrivit en 1810, après la grande déception d’un mariage avorté, quatre mouvements fort contrastés dont certains traits devaient plus tard influencer Dvořák pour sa Symphonie du Nouveau Monde et la Dame de Pique (Пиковая дама) de Tchaïkovski. Nous entendions ici même la version du Quatuor Ysaÿe [lire notre chronique du 3 mars 2003]; aujourd’hui, les Takácsse montrent peut-être plus classiques, en tout moins rudes, laissant par exemple le second mouvement s’imposer par sa nudité plutôt que par l’âpreté. L’option de couleur paraît moins souple que dans l’œuvre précédente, mettant surtout en avant la rigueur d’écriture, et plus que sérieux cet Opus 95 pourrait bien être sévère. Ce parti-pris est admirablement tenu d’un bout à l’autre, nous invitant sans aucune séduction dans les contradictions et luttes intérieures de Beethoven par des chemins qui fascinent.

C’est avec le Quatuor en la mineur n°2 Op.13 de Félix Mendelssohn que les musiciens prennent congé. Ils y surprennent beaucoup, faisant montre pour cette page d’un son beaucoup plus flatteur, plein, que l’on n'attendait pas. C’est définir l’hommage qu’un représentant d’une nouvelle génération fait à Beethoven à sa mort en 1827 par une évolution et un tournant décisif vers le romantisme. D’une expressivité plus opulente, cédant volontiers à la démonstration, l’interprétation de cette œuvre, pour brillante qu’elle est, convainc moins.

BB