Chroniques

par bertrand bolognesi

programme russe d’Accentus

Festival d’Art sacré / Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
- 17 novembre 2003
le compositeur soviétique Gueorgui Sviridov
© dr

Depuis 1978, le Festival d’Art Sacré de la Ville de Paris propose des programmes diversifiés autant que spirituels qui investissent plusieurs lieux de la capitale. Durant quatre semaines, il présentera plus de quinze manifestations, explorant le domaine baroque dans ses différentes factures, la création contemporaine, mais aussi d’autres traditions, comme le théâtre Nô, le chants yéménite ou la musique soufi.

Le Théâtre des Bouffes du Nord accueille sa première soirée qu’il consacre à au chœur Accentus (pour l’occasion renforcé de quelques voix expertes) dans un programme russe. Nous entendons onze des dix-huit pièces formant les Vêpres Op.37, c'est-à-dire La Grande Louange du Matin et du Soir, écrites par Rachmaninov en 1914/15, cinq années après sa Liturgie de Saint Jean Chrysostome. Le compositeur maîtrise alors son langage choral, après de nombreux essais, comme les motets de 1890, encore influencés par Smolenski, le concert spirituel à trois voix En Prière devant la Vierge qui veille, les Six Chœurs Op.15, Pantelei le Guérisseur, la cantate Le Printemps Op.20 et enfin Kokoloka Op.35, et signe avec les Vêpres sa dernière contribution à l’écriture pour chœur.

Il est courageux de la part d’une formation non russe de donner cette musique qui reste loin de nos sensibilités. Venez, adorons le Roi est chanté avec une volubilité débordante, jugulant son bel enthousiasme dans un ralenti plus grave. Avec l’intervention de l’alto solo de Ô mon âme, bénis le Seigneur, le ton se recueille, laissant loin les gloires de la première hymne. L’Homme heureux bénéficie interprété d’une belle souplesse, d’un équilibre louable mais peut-être trop fondu, trop subtil ; quoique qu’il faille convenir qu’il puisse paraître paradoxale d’estimer trop joliment réalisée une proposition, tenons pour envisageable qu’une lecture moins léchée amenait ce bel effet de creux entre les registres, nécessaire pour amener l’arrivée des graves qui donnent toute la profondeur, tant architecturale que spirituelle, de ce répertoire. De fait, la version de ce soir semble plus lyrique que religieuse. Les deux chants suivants sont réalisés avec moins de bonheur, Radieuse Lumière souffrant d’une approche assez hasardeuse de sa difficile modulation, et Maître, laisse maintenant aller ton serviteur d’un pupitre de barytons systématiquement en dessous de la note. Le bel édifice qui commence par les basses, superpose les barytons, et en troisième lieu les ténors, s’en trouve bancale. Pour L’Hymne à la Vierge-Mère les femmes installent un climat nouveau, d’une grande élévation, grâce à un sensible travail de nuance, à la fois précis et musical, sans excès dramatique. À partir de cette page, l’exécution perd la raideur précautionneuse du début.

Après un court entracte, Laurence Equilbey et Accentus offrent une rareté : quelques œuvres de Gueorgui Sviridov [photo], compositeur né en 1915, en lequel on reconnaîtra un grand maître du langage choral de la période soviétique. Ses Trois Chœurs pour « Tsar Fedor Ivanovitch » rappellent les Vêpres, dans un style nettement dépouillé qui se réconcilie avec les monodies anciennes. Le Concert à la mémoire d’Alexandre Yourlov est superbement réalisé, les redoutables frottements harmoniques qu’il conjugue bénéficiant d’interprètes rompus à la musique d’aujourd’hui. Les Hymnes à la Patrie sont investies d’une religiosité d’à propos et de beaucoup d’esprit La Couronne de Pouchkine, avec sa mignonne et virtuose Pie bavarde.

BB