Chroniques

par bertrand bolognesi

Pražák décevant
Concert de clôture

Biennale de Quatuors à cordes / Cité de la Musique, Paris
- 17 janvier 2010
le Quatuor Pražák n'est plus ce qu'il était
© dr

Les meilleures choses ont une fin : voici le concert de clôture de la quatrième édition de la Biennale de Quatuors à cordes,une manifestation qui peut s’enorgueillir d’une belle fréquentation du public (avec un taux de remplissage de 90% alors même qu’en ces sauvages retentissements des alarmes économiques survenus ces quelques mois, nos salles auraient plutôt tendance à se vider).

La semaine vient à son terme par deux jours d’un rythme résolument festivalier, avec leurs quatre rendez-vous quotidiens, conclus par les Pražák avec le Quatuor D.887 en sol majeur Op.61 n°15, l’ultime de Schubert, dont les quatre mouvements font traverser trois quart d’heure de tourmente. Les musiciens tchèques font venir comme de très loin les premières mesures de l’Allegro initial : cette manière de faire procède de leur signature. Le mouvement s’annonce tout en réserve expressive, mais dans une grande effervescence énergétique. Quelques contrastes en font avancer le discours sans excessifs déploiements sonores. Même les phrases les plus chantantes demeurent contenues dans un lyrisme discret. Les deux motifs s’échangent les rôles sans trop s’affirmer jamais. L’Andante s’infléchit dans la plainte du violoncelle, ici déchirante, à peine voilée toutefois par la véhémence de tutti assez approximatifs. Le nerf du Scherzo souffrira plus que permis des problèmes de justesse qu’accusaient les quartettistes mercredi [lire notre chronique], de même que le dernier Allegro, pourtant intéressant dans sa façon particulière de bouler le geste.

Lorsque Schönberg achève le sextuor à cordes Verklärte Nacht, il n’a pas encore précisément fixé les principes de l’esthétique nouvelle dont il sera le maître. Si le Quinzième Quatuor de Schubert est celui d’un jeune vieillard de vingt-neuf ans, l’Opus 4 de Schönberg est peut-être l’œuvre d’un vieil adolescent d’un quart de siècle dont l’audace oscille sensiblement entre la radicalité à venir et le chromatisme débordant qui, pour proche qu’il soit encore de l’héritage brahmsien, tente d’en effacer les bornes. Aussi apparaîtra-t-il comme hautement symbolique que cette Biennale, qui fait largement entendre les compositeurs d’aujourd’hui, marie dans la prise de congé de ce soir les deux Écolesde Vienne (les envolées de modernité que Schubert fait subir au souvenir de la première, l’affirmation d’un autre temps quelques soixante-dix ans plus tard, pour la seconde).

L’interprétation des Pražák, associés à Vladimir Bukač (alto) et Petr Prause (violoncelle), débute dans une âpreté soigneusement dosée à laquelle s’oppose une pâte judicieusement romantique dans les passages les plus lyriques. Si les deux premiers tiers de l’exécution contredisent les réserves émises plus haut quant à la justesse, le troisième cristallise à lui seul tous ces problèmes, savonnant comme jamais jusqu’à défigurer la nuit ! Indéniablement, le Pražák n’est plus ce qu’il était.

BB