Chroniques

par gilles charlassier

Présences Wolfgang Rihm – épisode 6
création mondiale d’Objet fantôme de Julia Hanadi Al Abed

Agora / Maison de Radio France, Paris
- 15 février 2019
performance electro de Marcus Schmickler [photo] et Thomas Lehn à Présences 2019
© mario radinovic

Présences cultive parfois le paradoxe, souvent à son corps défendant – dans le même temps où l’agence en charge de son service de presse s’obstine à en refuser l’accès à nos chroniqueurs, c’est toutefois la bonne complicité de la Maison ronde qui leur vaut de pouvoir publier le présent feuilleton, par exemple [ndr]. La volonté d'ouvrir les portes de la création musicale contemporaine qui a forgé les fonds baptismaux de la manifestation doit désormais passer sous les fourches caudines d'un impératif sécuritaire. Ainsi, le photomaton sonore conçu par Antoine Berland, avec lequel Pierre Charvet, en charge de cette édition 2019, voulut initier des animations ludiques autour de la programmation, n'a-t-il pas reçu l'autorisation d'accueillir le public dans le hall, devant se contenter d'une localisation discrète, à l'abri des spectateurs et du risque terroriste. De même les concerts d'after (les soirs de vendredi et samedi), fruits d'un partenariat établi avec le GRM, ne peuvent toucher que la jauge très contrainte de l'Agora. Si le lieu ne manque pas d'agrément, la dimension immersive de l'électroacoustique doit, dans ces conditions, ignorer les potentialités évidentes pour toucher une audience renouvelée.

En ce vendredi, deux créations électroacoustiques, commandées par Radio France pour le festival, attendent les mélomanes au sortir du remarquable concert du Philhar’ dirigé par Alejo Pérez [lire notre chronique du jour]. Lançant le dispositif à la manière d’une déité leibnizienne, Julia Hanadi Al Abed propose, avec son Objet fantôme, une errance sonore à partir d’une superposition de matériau radiophonique et de bruits de la nature, parasités par un tamis sonore ondulant. On reconnaît des voix microphoniques, venues de décennies désormais archivées, au milieu d’un roulis que l’on imagine marin. Composite et élaborée selon le procédé d’une bande gravant de façon préétablie les interactions entre les éléments, la pièce présente l’aspect d’un tissu hautement radiophonique, que la performance en temps réel ne transsubstantie guère, si ce n’est par la magie de l’écoute semi-sédative sous les évolutions presque immobiles de la lune au travers du puits de verrière de l’Agora.

Après une attente de quelques minutes pour retrouver les officiants de la seconde œuvre, leLive électro de Marcus Schmickler [photo] et Thomas Lehn développe des oscillations magnétiques et pulsatives, purs produits de l’informatique musicale, et modulent les intensités vers divers climax. Les deux improvisateurs se concentrent sur l’évidence de l’impact physiologique du son, où la spécularité de la pratique savante de la musique se laisse conduire par la jubilation psychédélique. L’ingénierie du GRM donne ici l’exemple d’une porosité entre des répertoires que l’étiquetage consumériste préfère confiner en ghettos. C’est aussi la fonction d’un festival que de tenter d’inverser cette entropie ; symptomatiquement, le second concert du GRM, le lendemain, associera deux légendes de la musique savante du siècle écoulé, Kagel et Ligeti, avec une expérience de Matthias Puech, au titre sans doute évocateur, Mount Hadamard National Park – et n’oublions pas Présences électronique dont la quinzième édition aura lieu les 22, 23 et 24 mars au Studio 104 [ndr].

GC