Chroniques

par laurent bergnach

Présences Wolfgang Rihm – épisode 4
création mondiale de Why so quiet (nouvelle version) d’Yves Chauris

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 14 février 2019
L'Orchestre national de France joue Why so quiet d'Yves Chauris
© luc hossepied

Après le concert chambriste de 18h [lire notre chronique du jour], changeons de salle et d’effectif pour entendre l’Orchestre national de France sous la direction exemplaire du Londonien Nicholas Collon, dans un programme diffusé en direct sur France Musique – il aurait fallu le découvrir via les ondes si Radio France, passant outre l’oukaze insensé de l’agence de presse en charge de promouvoir son festival Présences, n’avait fort aimablement ouvert ses portes à notre équipe [ndr].

Joué dans une manifestation qui met à l’honneur l’auteur de l’opéra-fantaisie Dionysos [lire notre chronique du 5 août 2010 et notre critique du DVD], Pascal Dusapin (né en 1955) peut se réjouir de côtoyer un confrère dont il apprécie la personnalité, aussi douce que profonde, et l’art tellurique qu’il se plaît à méditer. Uncut (2009) ouvre la soirée, dernier d’un cycle de sept pièces courtes pour orchestre (Solo n°1, Solo n°2, etc.) qui peuvent être données indépendamment les unes des autres. Pétrie de matière granuleuse (cors par six) et scintillante (métallophone, piccolo, etc.) qui perce le plan des cordes, elle s’avère sans presque aucune profondeur de champ, de l’aveu même de son architecte. Si l’on y retrouve le talent d’associer clarté et expressivité – comme l’a signalé Arne Deforce, encore récemment [lire notre critique du CD] –, Uncut impose son absence de silence et de nuances avec grandiloquence, joyau sans nul corps à couronner.

Remarquant que chaque concerto traditionnel pour piano possède sa propre forme, Wolfgang Rihm (né en 1952) annonce : « c’est précisément cela qui m’attire : créer quelque chose qui prend sa propre forme tout en restant dans la continuité formelle » (brochure de salle). Dédié à Tzimon Barto, et parfois repris par lui [lire notre chronique du 20 janvier 2017], son Concerto n°2 (2014) est donné en première française par ce pianiste toujours soucieux de défendre la musique contemporaine, notamment à travers le Barto Prize. L’extrême tendresse, la subtile retenue du natif de Floride subliment cette presque demi-heure voulue chambriste – à l’instar d’un opus de Mozart, peut-être. Avec un réel sens du modelé, Rihm semble revisiter la période où le romantisme tardif et la Seconde École de Vienne voisinaient, avec un lyrisme plus moelleux qu’incisif. Le pianiste le fait suivre du Nocturne en ut # mineur Op.Posth. n°20 (Chopin) à l’étirement rythmique très personnels.

Pour la seconde fois de la journée, applaudissons une œuvre d’Yves Chauris (né en 1980) [photo], grand lecteur des poètes de son siècle comme le révèlent les titres Circonstances de la nuit et Why so quiet qui se réfèrent respectivement à Pierre Reverdy et André du Bouchet (« pourquoi si tranquille »). Il s’agit de la nouvelle version d’une pièce construite sur l’idée de diffraction/propagation et l’envie de renforcer la sensation de profondeur (implantation stéréophonique des cordes, encerclement par les percussionnistes, etc.). Depuis l’onde générée par des cailloux choqués, façon Stein (Eötvös), on assiste à de multiples vagues, pas forcément frontales, qui gondolent et s’éteignent, gémissent et s’évaporent. Le timbre lui aussi est à l’honneur (sirènes, célesta, harmonica, etc.) de cette partition riche en surprises, laquelle s’ajoute donc à la liste de celles déjà fort appréciées [lire nos chroniques du 14 janvier et 28 septembre 2014].

Transmission d’énergie, fluctuation du mouvement et transition comme image de l’existence, voilà ce qui relie Richard Strauss à Transitus (2014), dont c’est ici la création française. Prêt à défendre un musicien souvent qualifié de conservateur, Wolfgang Rihm rappelle l’existence de notes jamais congestionnées, ni adipeuses : « même quand il libère les plus grandes forces dynamiques, elles ont toujours assez de place pour accueillir les petites émergences du moment ». Comme dans son concerto pour piano, créé la même année, le compositeur allemand épice d’accents berguiens le miel postromantique.

LB