Chroniques

par gilles charlassier

Présences Tristan Murail – épisode 7
créations signées Sébastien Gaxie et Diana Soh

Alexandre Bloch dirige l’Orchestre national de France
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 12 février 2022
Présences 2022 : Alexandre Bloch dirige l’Orchestre national de France
© marco borggreve

Le huitième concert de l’édition 2022* de Présences est le plus dispendieux en effectifs, avec l’Orchestre national de France au grand complet, sous la direction d’Alexandre Bloch, et les phalanges chorales de Radio France, Chœur et Maîtrise. Sans doute pétri par l’olympiade mahlérienne jouée avec son Orchestre national de Lille [lire nos chroniques des 2 et 28 février, du 3 avril, des 8 et 28 juin ainsi que du 1er octobre 2019], le chef communique son appétit des formations opulentes jusque dans les quelques mots d’introduction avant chacune des œuvres au programme.

Dans Années-lumière, écrit il y a trois décennies pour l’Orchestre de Paris qui le créait à l’automne 1993, Allain Gaussin [lire nos chroniques de La voix de la mémoire et de Par delà] décline en cinq épisodes (Danse de l’univers, Spirales d’astéroïdes, Cristal de galaxie, Gravitation, L’univers en expansion) une inspiration cosmique s’appuyant sur la masse orchestrale et son inertie, sans céder à la tentation des décibels. Les pulvérulences et les concaténations de timbres façonnent un imaginaire stellaire au développement passablement prévisible d’une vingtaine de minutes.

L’ivresse des moyens, dans cette veine astrophysique, s’accentue encore dans ce qui restera sans doute comme l’une des commandes les plus prodigues que Radio France ait réalisé depuis plusieurs années. Cosmic dance de Sébastien Gaxie [lire nos chroniques d’In bed with et de Je suis un homme ridicule] sollicite tous les pupitres à l’affiche, avec le Chœur préparé par Roland Hayrabedian, répartis à l’arrière-scène dans le respect des protocoles sanitaires actuels. Le compositeur français (né en 1977) est parti d’une vidéo du percussionniste B.C. Manjunath, joueur de mridangam, postée sur les réseaux sociaux, et à demander à l’interprète de participer à l’écriture et à la création de sa nouvelle pièce. Celle-ci s’articule autour de la virtuosité étourdissante de ce tambour indien, distillant une ivresse rythmique quasi cosmique. La partie soliste, qui mêle voix et instrument, selon la tradition orale du mridangam, confine à la transe. L’impact de cet exotisme parfaitement maîtrisé, initiant une pulsation reprise par les scansions chorales, est évident sur la mémoire comme sur un public qui semble pardonner une garbure orchestrale héritée du pittoresque hollywoodien ou bollywoodien.

Après l’entracte, la seconde première mondiale de la soirée, également initiée par Radio France, Tu es magique pour maîtrisea capella, a été conçue par Diana Soh (née en 1984) [lire nos chroniques d’Out at S.E.A, de Modicum et Zylan ne chantera plus] pour la Maîtrise de Radio France. Sous la houlette de Sofi Jeannin, les jeunes voix défendent une écriture diaphane, façonnée par des phonèmes empruntant à diverses sources linguistiques et de délicates percussions corporelles, d’où émergent quelques vers en français. D’une luminosité agréable et accessible, le résultat fait résonner un calibrage idéal pour l’exercice d’une maîtrise et une innocence quasi préraphaélite des enjeux de la création contemporaine.

AvecAnalogies pour seize musiciens, créé au CNSMD de Paris en 2017, Samir Amarouch (né en 1991) élabore des imitations bruitistes évocatrices, en quatre sections s’enchaînant sans interruption. Violent et implacable comme une machine affirme une rudesse percussive avec laquelle contrastent les murmures de Nuit d’été que ponctuent, à la fin, des appels de cor rendus plus lupins par l’imagination. Avec des modes de jeu reconstituant des textures électroacoustiques, Apparitions électroniques constitue le centre de gravité et la raison d’être d’un ouvrage qui, à partir d’un instrumentarium uniquement acoustique, module d’habiles porosités perceptives. Il se conclut sur un Coma suspendu.

Le partage des eaux,que, à l’instigation de la maison ronde, Tristan Murail avait écrit pour le trentième anniversaire de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (création en 1997 sous la baguette de Marek Janowski) referme ce concert avec une pièce de grande envergure, tant en termes d’effectifs que d’inspiration. Réalisée avec le concours du CIRM qui intervenait déjà lors du troisième concert du festival [lire notre chronique du 10 février 2022], la partition déploie d’ondoyantes alchimies de timbres dans lesquelles la sensuelle générosité orchestrale, pour laquelle l’auteur assume une filiation avec Richard Strauss – on pourrait aussi citer Bartók et Dukas –, s’étoffe d’informatique musicale avec une évidence et un naturel accomplis. Ouverts à moult interprétations sauf à la tradition biblique, titre et œuvre invitent à une exploration poétique magistrale dont Alexandre Bloch accompagne les contrastes, à défaut de parvenir à en maîtriser la délicatesse de palette et de textures, dans une lecture vraisemblablement trop dans les habitudes symphoniques prises par ONF.

GC

Notre équipe ayant suivi avec assiduité cette édition,
vous pouvez en lire le feuilleton au fil de ses chroniques :

épisode 1 – Lemanic Modern Ensemble, Pierre Bleuse
épisode 2 – Ensemble Intercontemporain, Duncan Ward
épisode 3 – Orchestre Philharmonique de Radio France, Marzena Diakun
épisode 4 – L’itinéraire, Mathieu Romano
épisode 5 – Proxima Centauri
épisode 6 – François-Frédéric Guy