Chroniques

par gilles charlassier

Présences Tristan Murail – épisode 3
créations signées Augustin Braud et Lanqing Ding

Orchestre Philharmonique de Radio France, Marzena Diakun
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 10 février 2022
Le compositeur Augustin Braud, dont deux pièces sont jouées à Présences 2022
© dr

Le troisième concert de Présences, le festival de la création à Radio France depuis 1991, troque le Studio 104 pour l’Auditorium où se produit l’une des deux phalanges de la maison ronde, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, aujourd’hui placé sous la direction de Marzena Diakun, dans un programme conçu autour de l’empreinte de l’œuvre de Giacinto Scelsi (1905-1988) sur Tristan Murail et les spectraux. Il est réalisé avec la précieuse collaboration de CIRM – créé en 1968 par le compositeur Jean-Étienne Marie (1917-1989) et installé à Nice dix ans plus tard, ce CNCM, aujourd’hui menacé de fermeture, est à l’initiative du festival MANCA [lire nos chroniques des éditions 2004 : épisodes 1, 2, 3 et 4 ; 2005 : épisodes 1, 2 et 3 ; 2006 : épisodes 1 et 2 ; enfin 2007 : épisodes 1, 2 et 3].

La pièce de la figure à l’honneur de cette édition 2022, donnée en ouverture, en témoigne de manière exemplaire. Créé aux Wittener Tage für neue Kammermusik en 2014, Un sogno est une commande passée à Murail dans le cadre du projet de l’Ensemble Modern, Giacinto Scelsi Revisited : le compositeur français a retravaillé pour ensemble instrumental et électronique l’une des esquisses qu’au synthétiseur le maître italien avait enregistrées sur bandes. Le résultat fait entendre une stase ondulatoire au cœur de la matière sonore, dans une symbiose entre acoustique et informatique au service de l’évidence d’une immersion dans le grain et le timbre musicaux, servie par une lecture qui ne se laisse pas prendre au piège de l’inertie.

Première des deux commandes passées à Augustin Braud (né en 1994) présentées en premières mondiales dans la soirée, Lignier pour violon solo s’affirme comme une perpétuelle esquisse de motif à partir de l’exploration des ressources des micro-intervalles et de la facture instrumentale. Le flux se décline en six épisodes, notés par l’auteur lui-même – éthéré, très détaillé, cinétique, très précis, éthéré, très contrasté – avec une indéniable plasticité, sous l’archet versatile de la dédicataire, Carolin Widmann.

L’expérience de flottement extatique se prolonge – et se renforce – avec Anahit, poème lyrique dédié à Vénus (1965) de Scelsi, pour violon et dix-huit instruments, qui revisite la construction antagoniste d’un concerto. La progression se fait essentiellement dans la texture de notes longuement tenues, émulsionnées dans une écriture comme à l’écoute de son propre silence.

Au retour de l’entracte, et comme la veille, un hommage est rendu à un compositeur tout juste disparu. Après Crumb [lire notre chronique du 9 février 2022], c’est Alain Bancquart, décédé le 26 janvier dernier à l’âge de quatre-vingt-sept ans [lire notre critique de son essai Musique : habiter le temps et notre chronique du 6 novembre 2014], qui est salué par Jean-Luc Menet et Pierre Strauch, avec les bruissements intimes de la flûte alto et du violoncelle dans Dialogue de l’oubli dont l’inspiration, défendue avec un recueillement perceptible, s’inscrit avec justesse dans le spicilège articulé autour de Scelsi.

S’ensuit la création française de la nouvelle version d’I remember, concerto pour pipa, cordes et piano de Lanqing Ding (née en 1990). Variante chinoise de luth, avec le même type de jeu à cordes pincées, le pipa apporte une touche d’extrême-orientalisme dans une partition qui ne le renie pas. Des confins de l’audible l’introduction évolue ensuite vers un chatoiement de couleurs et de touchers un rien métalliques, voire bruitistes, distillant une singularité qui ne se limite pas à l’exotisme attendu. Y émerge le souvenir d’une des sinologies mélodiques les plus célèbres, Fleur de jasmin. C’est d’ailleurs à son pays natal que renvoie la soliste Weiping Wang dans un bis puisé dans le fonds traditionnel, seyant si bien à son instrument.

Le concert du Philhar’ se referme sur la seconde des deux pièces de Braud [photo], imaginée dans le cadre des alla breve (commande de Radio France présentée sur France musique par Anne Montaron). Le format en cinq séquences de Ceux qui restent est assumé avec une maîtrise inventive, sans que la contrainte radiophonique initiale ne vienne contrarier la cohérence de l’ensemble. Entre contemplation et vigueur rythmique, bruissement de cordes et générosité chantante des cuivres, la partition condense une variété qui réconcilie cisèlement chambriste et épanouissement orchestral.

GC