Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences Tristan Murail – épisode 2
créations signées Allain Gaussin, Philippe Hurel et Clara Olivares

Duncan Ward dirige l’Ensemble Intercontemporain
Studio 104 / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 9 février 2022
Création de "En spirale" de Philippe Hurel au festival Présences 2022
© sylviane falcinelli

Après une ouverture dirigée par Pierre Bleuse [lire notre chronique de la veille], c’est la formation à la tête de laquelle celui-ci prendra la succession de Matthias Pintscher en 2023 qui gagne aujourd’hui le même plateau du Studio 104. Sous la direction de Duncan Ward, l’Ensemble Intercontemporain propose un programme autour L’esprit des dunes de Tristan Murail, dans l’exploration de la matière sonore que peut enrichir l’électronique.

Mais c’est avec un solo hautement virtuose que commence le concert, confié à Jérôme Comte [lire notre critique CD], dédicataire de la commande passée à Philippe Hurel [photo] – conjointement par Radio France et l’EIC, comme c’est le cas des deux autres premières mondiales de la soirée. En spirale pour clarinette s’articule autour de la variété de jeux de l’instrument pour développer une modulation continue d’une volubilité étourdissante et non dénuée d’humour, d’abord ponctuée par des entrelacs percussifs presque cabotins qui viennent contrarier et relancer en même temps le flux musical. Après un intermède aux couleurs et aux intonations plus feutrées, ce théâtre miniature pour un soliste s’achève sur un tourbillon d’effets qui ne néglige jamais la constance du discours. Il enthousiasme autant l’oreille que l’imagination sculpturale suggérée par le titre de la pièce.

Deuxième création de la soirée, Par delà... d’Allain Gaussin, écrit pour piano, clarinette basse et percussion, contraste par une inspiration intime plus austère, introduite par un poème que le compositeur psalmodie sur un ton d’intériorité presque solennelle. Émergeant des confins soufflés, la rareté lente et poétique de la trame élaborée par les trois pupitres s’étoffe avec un certain sens du rituel et permet d’abord d’apprécier le métier d’Alain Billard à la clarinette basse et les séductions des percussions d’Aurélien Gignoux.

Créé par l’Ensemble Intercontemporain en 1994, L’esprit des dunes de Murail, pour onze instruments et sons de synthèse, développe un paysage sonore évocateur où la lutherie acoustique et l’informatique se mêlent et se transforment avec une technicité non dénuée d’inspiration. Sous la houlette de Ward [lire notre chronique du 23 septembre 2017], la précision des timbres est relayée par celle de la réalisation de l’Ircam. Elle démontre que la partition, dédiée à Scelsi, n’a pas perdu, un quart de siècle plus tard, de sa pertinence expressive.

Après l’entracte, un court hommage à George Crumb [lire nos chroniques de Makrokosmos, Gnomic Variations, Dream Images, Three Early Songs, Morning Music, Vox Balaenae, Black angels, Star-Child et Kronos-Kryptos], qui vient de disparaître à quatre-vingt-douze ans (le 6 février), est rendu par Sébastien Vichard avec deux miniatures tirées du cycle Eine kleine Mitternacht Musik for amplified piano – Rumination on « Round Midnight » by Thelonious Monk écrit il y a vingtaine d’années : la première, Nocturnal theme, et la troisième, Premonition. Dans ces éclats comme suspendus, où le motif se décline entre des murmures de cordes à vide, se reconnaît l’originalité du compositeur étasunien, assimilant autant le jazz que les expérimentions d’avant-garde.

La troisième et dernier création de la soirée, Vers mes cieux vos regards pleins d’ivresse, que Clara Olivares [lire nos chroniques de Lebewohl et de Spatiphyllum’s Supreme Silence] a conçue pour cor solo, ensemble et électronique, emprunte son titre à un poème de jeunesse de Baudelaire. La page, durant une vingtaine de minutes, s’appuie sur le talent du cor de Jens McManama pour plonger l’auditeur dans une immersion au cœur d’un maelström évolutif investissant les potentialités du grain instrumental et de l’Ircam, et privilégie le fond à la forme.

En termes de construction narrative, la leçon de Murail dans Désintégrations pour ensemble et sons de synthèse, joué pour la première fois par cet ensemble avec l’Ircam en 1983, se révèle incomparable. Interrogeant comme autant de manières les ressources texturales de l’effectif, les onze épisodes se succèdent avec un sens évident de la dramaturgie musicale et poétique. Défendue avec brio par les pupitres de l’EIC emmenés par Duncan Ward, la pièce confirme sa place majeure dans le répertoire contemporain.

GC