Chroniques

par bertrand bolognesi

Pologne et Bohême
Denis Raisin Dadre et Doulce Mémoire

Graham O’Reilly et l’Ensemble Européen William Byrd
Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 29 et 30 septembre 2006
à Ambronay, Denis Raisin Dadre joue la Messe solennelle à la Cour de Rudolf II
© patoch

C’est vers l’Est que regarde l’édition 2006 du Festival d’Ambronay. Depuis la mi-septembre, elle présente un répertoire moins connu, réunissant des compositeurs tchèques, hongrois ou polonais. On regrettera cependant une maigre participation d’interprètes est-européens qui auraient sans doute su éclairer différemment notre écoute.

On le regrette d’autant plus samedi soir, à l’issue du concert donné par l’Ensemble Européen William Byrd, concert intitulé L’Âge d’Or du baroque polonais. Après un fort beau Prélude pour orgue, de Jan Podbielski, sorte de gracieux embryon de fantaisie, nous entendons la messe La Lombardesca de Bartłomiej Pękiel, ponctuée de divers motets ou séquences instrumentales. Si les instrumentistes servent plutôt gentiment cette musique – notamment le claviériste Yannick Varlet, Marie Cleary à la harpe et Mark Wolff au chitarrone –, les voix ne cessent de révéler leur insuffisance. Pour sûr, le répertoire est raffiné et s’agrémente d’une riche ornementation, mais cette prestation ne permet guère d’en rendre compte, les hymnes s’y trouvant scolairement ânonnées, sans le moindre enthousiasme, et la réalisation générale manquant cruellement d’unité stylistique. Les attaques vocales sont systématiquement hasardeuses, la stabilité des phrases mise à mal et les impacts improbables à réunir. Deux voix vaguement correctes sur neuf, voilà qui ne suffit pas ! La lecture de Graham O’Reilly se préoccupe plus de soucis de mise en place que de considérations interprétatives. Bref : une exécution d’une platitude éprouvante, conduite sur un tactus immuable qui n’a d’égale que l’inexpressivité du chant.

La veille, nous retrouvions avec plaisir Denis Raisin Dadre et Doulce Mémoire dans la Messe solennelle à la Cour de Rudolf II que nous abordions récemment à Sablé [lire notre chronique du 23 août 2006]. Une première Intrada d’Alessandro Orologio (1550-1633) nous arrive de l’arrière de l’abbatiale, suscitant la sensation d’un envahissement progressif. À l’opposé, l’exultent iusti de Jacob Regnart investit le fond du chœur, derrière le second bloc public. Ainsi progresse-t-on dans l’espace jusqu’au centre, les dimensions des lieux permettant une évolution lente à ce déplacement sonore, du coup rendu plus mystérieux. Après une seconde Intrada instrumentale, donnée de front, s’installe la messe Super confitebor tibi Domine de Philippe de Monte (1521-1603), régulièrement aérée par des pages de Lambert de Sayve, de Regnart et d’Orologio encore.

Outre que l’acoustique met particulièrement en valeur les entrelacs mélodiques, l’articulation généreusement louangeuse des chanteurs, parfois dans une ferveur communicative, ne faiblit jamais tout au long d’une interprétation enthousiaste. Dès le Kyrie, on remarque une certaine sensualité du chant, toujours dans la lumière d’une vraie joie, tandis que le Gloria révèle une gravité moins attendue, dans une sorte de réserve très délicate. Ici s’affirment les choix de mariages vocaux, parfaitement conscients des caractères à mettre en relation dans telles partie ; les Litanies à la Vierge (de Monte) y trouveront une vitalité formidable et un équilibre sensible.

BB