Chroniques

par bertrand bolognesi

Philharmonia Orchestra dirigé par Esa-Pekka Salonen
Lyrische Sinfonie Op.18 de Zemlinsky

Théâtre des Champs-Elysées, Paris
- 4 mars 2009
© dr

Soirée très attendue que celle du prestigieux Philharmonia Orchestra de Londres, donnant ici un programme viennois d’une grande cohérence, sous la fougueuse battue du brillant Esa-Pekka Salonen… De fait, sans doute un peu trop brillant et fougueux.

Si l’écoute est, de prime abord, happée par le grain généreux dont bénéficient les premiers pas de Verklärte Nacht d’Arnold Schönberg, des rubati particulièrement marqués viennent bientôt souligner la fragilité de la conception. Les contrastes de tempo sont fortement appuyés, pour un résultat incisif, parfois mordant, souvent violent, ce qui correspond au propos musical et au poème qui l’inspira. Le ton demeure pourtant artificiel dans cette exécution qui fronce le sourcil au-delà de toute gravité vraie.

Il y a une dizaine de jours, Pierre Boulez livrait une lecture d’une autre tenue [lire notre chronique du 20 février 2009]. Il s’agissait de la version de 1917, il est vrai, alors que nous entendons ici la révision de 1943, plus épaisse dans ses équilibres – brahmsienne, tout simplement. Ainsi du trait de violon, ce soir superbement lyrique et sonore, plus discret par le chef français qui tissait des demi-teintes à peine dramatiques, résolument introspectives. Sous la baguette de Salonen, tout se retourne comme un gant. La performance se laisse apprécier, indéniablement impressionnante, mais non l’interprétation. Tout cela reluit trop, transporte l’imagination de la salle de concert au salon de l’automobile ! La trame orchestrale nécessite un travail autrement profond, même si l’option n’est pas dépourvue de qualités dont l’extrême relief n’est pas des moindres.

Après l’entracte, le chef finlandais se révèle mieux inspiré dans la Lyrische Sinfonie Op.18 d’Alexander von Zemlinsky, une œuvre trop peu jouée d’un compositeur rarement mis à l’honneur. Cette Symphonie en sept chants sur des poèmes de Tagore est rondement ouverte par un thème héroïque qui génère un leitmotiv diversement décliné tout au long de l’œuvre. Certes, l’opulence qui envahit l’oreille trouve un fidèle serviteur en cette baguette, partant qu’en fait d’opulence, il s’agit bel et bien de l’écriture de Zemlinsky, cette fois. Salonen se bat cependant avec l’équilibre rendu difficile entre voix et orchestre, durant les trois premiers mouvements. Baryton pourtant solide, Juha Uusitalo chante dans la tension, contraint de hacher le texte par l’effort à fournir pour dépasser la masse instrumentale. On regrettera que l’opposition d’un élégant thème viennois à une scansion nettement orientalisante (on pense au Strauss de Salome) demeure oubliée, sur le deuxième chant où peine également Solveig Kringelborn dont on connait bien l’étendue des moyens vocaux. Fort heureusement, le troisième mouvement réserve des passages moins fastueux qui permettent au baryton de laisser s’exprimer un art plus nuancé et un phrasé bien mené.

Le quatrième chant impose une durable sagesse, grâce au tendre duo violon/violoncelle, curieuse épigénie qui introduit un lyrisme d’un grand mystère, écuré de tout excès. Dès lors, même quand la partition se veut plus plantureuse, Salonen n’en brosse plus à gros traits le dessin, n’omet aucun détail, lui accordant enfin une inventive délicatesse. Si l’héroïsme revient au mouvement suivant, le chef sait désormais le contenir, profitant du raffinement d’écriture de Zemlinsky. De même apprécie-t-on le grave étonnant de Solveig Kringelborn dans Vollende denn das letzte Lied, pénultième section qui révèle toute la force expressive de l’artiste. Et le livre de se refermer par Friede, mein Herz, un Adagio nictant le plus évidemment qui soit vers Mahler.

BB