Chroniques

par david verdier

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 17 avril 2011
Mary garden, créatrice du rôle de Mélisande dans l'opéra de Debussy
© dr

Ce fut en quelque sorte une semaine sainte avec un peu d'avance… du moins pour ceux qui, comme moi, ont un faible pour la Trinité Parsifal-Ariane-Pelléas [lire nos chroniques des 14 et 15 avril]. Peu importe si l'absence totale d'un semblant de mise en espace a contraint l'auditeur de ces trois soirées à puiser dans son imagination pour des ouvrages inmontables de toutes manières. Au moment d'entendre Pelléas et Mélisande, c'est le souvenir encore vivace du très honorable Parsifal dirigé par Kent Nagano qui servait d'écrin sonore et mémoriel. L'écho irrévérencieux au Bühnenweihfestspiel transparaît à la fois dans les citations musicales plus ou moins conscientes, ainsi que dans le livret de Maerterlinck – certains personnages semblent comme des ombres portées du drame wagnérien, sans pour autant chercher à les imiter.

Si l'œil peut se satisfaire de l'absence de mise en scène, l'oreille mettra plus de temps à s'accoutumer au volume sonore de l'orchestre placé hors fosse. Louis Langrée, à la tête de l’Orchestre de Paris, restreint le cadre dynamique avec le souci évident de ménager les chanteurs. Le geste est sûr et détaillé, même si, à la longue, il semble amollir la ligne et produire un ondoiement assez monochrome quand la partition exige davantage de noirceur, d'évanescence, d'épaisseur… Dans les fameuses transitions orchestrales (encore une involontaire parenté avec Parsifal), il laisse (enfin) le son s'épanouir et abandonne pour un temps cette fâcheuse tendance à s'écouter diriger. Une version scénique aurait sans doute produit davantage de caractérisation des timbres et un contraste sonore mieux défini, notamment dans les passages les plus dramatiques, les souterrains, le meurtre de Pelléas ou bien dans le dernier acte, qui exige, plus que les autres sans doute, une mise en scène. Sans bouder notre plaisir, il faut bien avouer que cette version a ceci d'intéressant qu'elle rend visible les amalgames de timbres qui résultent de la subtile horlogerie debussyste.

Venu nombreux, le public semblait intéressé par la chronique mondaine distillée par le couple Naouri-Dessay, et ce malgré l'évident déséquilibre des qualités techniques et vocales qui désormais apparaît nettement. Le Golaud de Laurent Naouri garde encore de beaux restes et remporte un franc succès. On peut cependant trouver irritant l’arsenal technique qu'il déploie pour escamoter les fins de phrase avec des sons baillés ou la tendance continue à aspirer les premières notes afin de mieux précipiter les suivantes. Il place son Golaud à la frontière du psychopathe et du majordome anglais « sans a-ffec-ta-ti-on »… On n'aura pas la méchanceté facile pour souligner les faiblesses de Nathalie Dessay dans le rôle de Mélisande [photo : Mary Garden, créatrice du rôle]. Disons qu'elle a au moins le mérite de savoir moduler sa voix pour ne pas trop en exposer les contours périlleux, quitte à user d'un parlando assez neutre à plusieurs reprises. Ces efforts précautionneux ne permettent pas d'interpréter le personnage avec la justesse qu'il mérite.

Simon Keenlyside, quant à lui, campe un Pelléas aux confins de l'expressivité héroïque (plus encore qu'en 2004 à Bastille). Il compense certains passages peu idiomatiques par une vaillance assez hors de propos, nasalisant ici et là de façon trop appuyée. La prononciation est globalement correcte et fluide, à l'exception de quelques r et u rebelles ou d'un étrange Je les tiens dans ma main assez exotique. L'acteur, en revanche, a du mal à se contenir derrière son pupitre, en agitation constante.

Le reste de la distribution est assez inégal. Marie-Nicole Lemieux, qu'on a connue plus en voix ici même sous la direction de Bernard Haitink, fait de la lecture de la lettre un monument de componction effroyable. Alain Vernhes incarne un Arkel vaillant mais la voix bouge dangereusement. Le petit Yniold de Khatouna Gadelia n'est guère audible au delà des dix premiers rangs. La belle surprise vient de l’Argentin Nahuel di Pierro dans les habits du médecin et du berger. Tout en lui annonce une grande voix qu'il convient de suivre attentivement.

DV