Chroniques

par bertrand bolognesi

pages concertantes pour quintette à vent et orchestre
Domenico Cimarosa, Franz Danzi et Wolfgang Amadeus Mozart

Les Vents Français, Orchestre de Chambre de Paris, Trevor Pinnock
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 15 décembre 2022
Les Vents Français, Orchestre de Chambre de Paris et Trevor Pinnock...
© joachim bertrand

C’est à déguster un menu d’un classicisme tardif que l’Orchestre de Chambre de Paris (OCP) convie le public avenue Montaigne, avec des œuvres écrites entre 1778 et 1812, la plus récente lorgnant donc vers un romantisme encore héritier de l’esthétique qui l’a précédé. Pour ce faire, le chef britannique Trevor Pinnock, bien connu comme interprète du répertoire baroque et de la musique de Johann Sebastian Bach, dirige la formation qui s’exprime aujourd’hui en belle intelligence avec Les Vents Français, quintette constitué par d’excellents solistes, puisqu’il rassemble le flûtiste Emmanuel Pahud [lire nos chroniques du 1er décembre 2006, 4 mars 2016, du 30 octobre 2019, de l’album Vienne 1900, du 31 juillet et du 4 août 2020, enfin du 11 mai 2022], Paul Meyer à la clarinette [lire nos chroniques du 9 juillet 2003, du 19 mars 2004, du 6 novembre 2005, du 22 janvier 2011 et du 8 août 2020], le hautboïste François Leleux [lire notre chronique du 14 juin 2006], Gilbert Audin au basson et Radovan Vlatković au cor.

Alors qu’ici les acteurs d’un temps inquiet tranchent nombre de têtes, parfois pour un oui ou pour un non, Domenico Cimarosa rentre en sa Naples natale, après trois années vécues à Florence, quatre à Saint-Pétersbourg, puis une à Vienne, durant lesquelles il a régulièrement travaillé à Rome, Bologne, Vérone, Milan, Vicence, Turin, Venise, Weimar et Bonn. En compositeur d’opéra [lire nos chroniques de Gli Orazi e i Curiazi et d’Il matrimonio segreto à Berlin et à Innsbruck], Cimarosa conçoit en 1793 sa Symphonie concertante en sol majeur qui, avec l’orchestre, convoque flûte et hautbois. Avec infiniment d’esprit, l’Allegro est ici engagé dans une inflexion heureuse que magnifie l’inspiration de la nuance et du phrasé. Subtilité et invention se conjuguent à un style incomparable, ceux d’Emmanuel Pahud et de François Leleux, que le tutti cultive dans une amabilité ténue, jamais autosatisfaite. Rien de surgras ni de sucré, jusqu’à une cadenza simplement parfaite – il ne paraît point incongru d’emprunter au vocabulaire du concerto. La souplesse des échanges solistiques du Largo médian fait florès, sans masquer les prouesses notables d’Alexandre Collard et de Cédric Muller aux cors. Allegretto ma non tanto, le Rondo conclusif souligne la virtuosité des solistes auxquels l’écriture confie une nouvelle rodomontade lyrique dont ils se jouent avec superbe.

Par-delà les controverses concernant l’authenticité de la Symphonie concertante en mi bémol majeur K.297b pour flûte, hautbois, cor, basson et orchestre de Mozart, écrite en 1778 pour les solistes du prestigieux orchestre de Mannheim, c’est avec plaisir qu’on l’écoute ce soir dans la version réalisée en 1984 par le musicologue étasunien Robert Levin (né en 1947), qui douze ans plus tard complétait également le Requiem du maître salzbourgeois. Aux deux artistes susnommés se joignent Gilbert Audin et Radovan Vlatković, pour un quatuor brillant dont chaque membre rivalise cordialement en facétie, la dynamique étant rendue plus savoureuse encore par les hautbois de l’OCP, les forts bons Ilyes Boufadden-Adloff et Guillaume Pierlot. Dans une respiration idéale, la suavité du cor est saisissante, de même que la tendresse du basson, aux couleurs bénies. Morceau de choix, l’Adagio est traversé d’une douceur discrètement dolente qui laisse méditatif. L’interprétation de l’invraisemblable équipée galante de variations toutes plus joueuses les unes que les autres combine une volubilité somptueusement ornementale qui flatte adroitement l’écoute.

Le 18 juin de la même année (1778), le Concert Spirituel, l’un des ensembles instrumentaux les plus actifs dans la France de Marie-Antoinette, crée à Paris la Symphonie en ré majeur K.297/300a n°31 « Paris » de Mozart, dont le mouvement central serait remanié quelques semaines plus tard pour complaire à Joseph Legros, directeur de la formation parisienne où il avait succédé l’année précédente au compositeur Gossec. Bien que les répétitions ne l’annonçassent guère – dans sa correspondance, le compositeur se plaint de la piètre qualité des musiciens français et fait part de son anxiété à l’approche du grand jour –, cette première fut un succès. L’éclatante tonicité de l’Allegro assai se garde ici d’effet superfétatoire, traçant sa route dans un contraste mesuré où la timbale accuse nulle crudité. Au retour du thème, la modulation impose un changement de cap donc séduit la radicalité, ce qui n’échappe pas à Trevor Pinnock (qui fêtera soixante-seize ans demain), ciseleur avisé de la bonne santé de l’Orchestre de chambre de Paris. Legros n’étant plus de ce monde pour grogner, le chef a décidé de donner la première version de l’Andante, n’en déplaise à la mémoire de l’ex-chanteur ramiste puis gluckiste à l’horizon esthétique un rien bouché. Nous en goûtons l’élégance affirmée, de même que l’on apprécie l’effervescence jubilatoire de l’Allegro où il faut saluer la prestation impeccable de la petite harmonie, les clarinettistes Florent Pujuila et Kevin Galy en tête.

Né en 1763 dans le petit Schwetzingen, connu pour son palais princier des électeurs palatins dont le théâtre rococo abrite aujourd’hui un festival d’hiver et un festival de printemps [lire nos chroniques d’Agrippina, Die Entführung aus dem Serail, La cambiale di matrimonio, Il signor Bruschino, Giulietta e Romeo et Mitridate], Franz Ignaz Danzi occupe à quinze ans une place de violoncelliste dans l’orchestre de Mannheim lorsque Mozart vient le diriger, en 1778. La chapelle musicale de Mannheim étant déplacée à Munich dans les mois qui s’ensuivent, c’est en Bavière que le jeune musicien fait ses armes. Il y épouse Mademoiselle Marchand, l’enfant du patron de l’opéra de cour de Munich, chanteuse qu’il accompagne en tant que chef d’orchestre dans plusieurs cités allemande et italiennes. À partir de 1807, il est appelé par le Dicker Friedrich à occuper de hautes fonctions à Stuttgart. C’est finalement à la cour du grand-duc Leopold von Baden qu’il achèvera sa carrière, à Karlsruhe. Dans cette cité, il compose pour flûte, clarinette et orchestre la Symphonie concertante en si bémol majeur Op.41, entre 1808 et 1812, contemporaine de ses opéras Iphigenie in Aulis, Dido et Camilla und Eugen. À la découverte de l’Allegro moderato – avouons n’avoir jamais entendu d’autre page de Danzi que l’Ouverture de Camilla und Eugen (1813) –, se perçoivent un héritage haydnien mais aussi le goût de l’auteur pour la manière de Weber et sa connaissance du répertoire des théâtres. Après une exposition orchestrale assez développée, Paul Meyer prend la parole, bientôt rejoint par Emmanuel Pahud dans un dialogue à l’exquis moelleux qui contraste avec la vivacité inouïe du tutti, rondement mené. Presque schubertien, le Larghetto, où charme un trait de cor solo, cède place à l’Allegretto final, Polonaise qui invite une verve bel canto tout juste d’actualité alors, les œuvres de Mayr, Rossini, Mercadante ou Donizetti gagnant la scène quelques mois plus tard – on pourrait croire entendre le mélodiste Bellini dans le Larghetto, le tout premier opéra de l’illustre Sicilien ne voyant pourtant le jour qu’en 1825 (Adelson e Salvini).

Pour couronner si savoureuse tétralogie, les cinq solistes offrent en bis la première des Trois pièces brèves que Jacques Ibert concevait pour quintette à vent en 1930 comme musique de scène du Stratagème des roués de Farquhar (The Beaux' Stratagem, 1770), comédie alors jouée à l’Atelier. Cet Allegro frais et enlevé ferme la soirée avec un peps inimitable !

BB