Chroniques

par isabelle stibbe

Padmâvatî
opéra-ballet d’Albert Roussel

Théâtre du Châtelet, Paris
- 20 mars 2008
© marie-noëlle robert

L’ailleurs, encore, au Théâtre du Châtelet. Après la Chine de Monkey Journey to the West [lire notre chronique du 27 septembre 2007], l’Afrique de Bintou Wéré [lire notre chronique du 27 octobre 2007] et l’Amérique de West Side Story [lire notre chronique du 21 novembre 2007], le voyage se poursuit en Inde, grâce à l’opéra-ballet Padmâvatî. Inspirée d’une légende du Rajasthan, l’œuvre prend racine à Tchitor que le compositeur Albert Roussel (1869-1937) visita lors de sa lune de miel avec sa jeune épouse, en 1909. Les ruines de cette ville où vécut, dit-on, Padmâvatî, inspirèrent au musicien une partition à la trame indienne dans un style bien français.

L’histoire de la reine de Tchitor, dont le nom évoque le lotus (padma), peut se résumer simplement. À la fin du XIIIe siècle, Allaoudin, sultan des Mogols, se présente aux portes de Tchitor avec son armée pour négocier une alliance avec le prince Ratan-Sen. La beauté de Padmâvatî, la femme de Ratan-Sen, bouleverse son esprit et ses projets de paix : si Padmâvatî ne lui est pas remise, il s’en emparera de force. La guerre reprend alors de plus belle. Quand Ratan-Sen, blessé au combat, implore sa femme de se livrer à l’ennemi pour sauver le peuple, celle-ci refuse au nom de sa foi conjugale. Elle tue son mari et le suit dans la mort, selon le rite hindou prescrivant aux veuves de s’immoler sur le bûcher avec leur époux. Lorsque Allaoudin fait son entrée, victorieux, il ne trouve que fumée.

Avec son librettiste Louis Laloy, Albert Roussel européanise quelque peu la légende, même si reste l’essentiel. Quant à la musique, elle demeure typiquement française, s’accordant seulement quelques échelles modales et une utilisation de la flûte qui n’est pas sans évoquer la Shéhérazade de Ravel. Au reste, la partition, tout en restant propre au compositeur, oscille entre le Debussy de La Mer pour l’atmosphère envoûtante et le Ravel de Daphnis et Chloé pour les chœurs sans paroles. Les spécificités de la musique française s’inscrivent jusque dans la forme d’opéra-ballet – on pense bien sûr à Rameau.

Créé à l’Opéra en 1923 à l’initiative de son directeur Jacques Rouché, l’œuvre n’est pas des plus connues. Pour l’explorer à nouveau, quelle meilleure idée que de faire appel à un metteur en scène indien, en l’occurrence le plus connu en France : Sanjay Leela Bhansali ? Les amateurs du film Devdas – découvert par le grand public lors de sa présentation à Cannes en 2002 – pouvaient s’attendre à un spectacle haut en couleur, comme Bollywood sait si bien les produire. Et, de fait, les décors sont splendides, les costumes somptueux, les animaux vivants, certaines images de toute beauté. Le traitement des chœurs est particulièrement maîtrisé, ce qui n’étonne guère de la part d’un réalisateur habitué aux vastes scènes de groupe si en vogue en Inde.

Parce que le sens du spectacle est à son comble, c’est donc à dos d’éléphant qu’Alain Fondary (Allaoudin) fait son entrée. Moins impressionnant que par le passé, le baryton garde une belle présence. Yann Beuron (le brahmane) séduit en revanche toujours autant par la beauté de son timbre et ses qualités de jeu. Si le ténor Finnur Bjarnason (Ratan-Sen) peine à passer l’orchestre, c’est loin d’être le cas du sonore Laurent Alvaro (Gora). Dans les rôles secondaires, on apprécie particulièrement la voix ronde de Blandine Folio Peres (Nakamti). Enfin, le mezzo-soprano Sylvie Brunet convainc pleinement dans le rôle-titre grâce à sa voix ample et sa diction, même si l’on regrette un jeu lent et figé.

Dans la fosse, Lawrence Foster emmène l’Orchestre Philharmonique de Radio France tour à tour vers la puissance ou l’intimisme de la partition. En dépit de l’orchestration luxuriante, de la mise en scène fastueuse et des chorégraphies superbes, d’où vient, parfois, un léger ennui ? C’est à se demander si l’œuvre ne souffre pas de sa forme d’opéra-ballet, ou plutôt de ballet-opéra tant les danses sont omniprésentes. Car si elles constituent un beau spectacle visuel, elles étirent l’action jusqu’à la ralentir et faire perdre de sa force à l’intrigue pourtant riche de potentialités dramatiques. On est heureux, malgré tout, de (re)découvrir cette musique et d’assister à un mariage si réussi entre Orient et Occident.

IS