Chroniques

par david verdier

Oscar Strasnoy, épisode 10
El regreso, opéra de chambre

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 21 janvier 2012
le compositeur argentin Oscar Strasnoy photographié par Guy Vivien
© guy vivien

La soirée commence très mal.
Que dire de cette version « modernisée » de Didon et Enée ? En toute honnêteté, le constat est plutôt navrant et tendrait à classer cette partition au rang des mauvaises intentions. Le modèle purcellien est abordé frontalement, présent dans toute sa littéralité en fond sonore tandis qu'au premier plan s'agitent les artefacts d'une modernité en berne. La référence fondue (dissoute ?) en musique d'ambiance easy-listening, il ne reste plus qu'à creuser le sillon d'une musique contemporaine très superficiellement conçue et structurée. On ne peut s'empêcher de penser au travail d’Hans Zender à propos du Voyage d'Hiver de Schubert : la comparaison fait apparaître ce qu'il manque à la partition de Strasnoy, c'est-à-dire cette capacité à traiter d'un modèle pour en faire une composition indépendante qui pointe du doigt certains aspects, en dénonce d'autres, nous fait écouter la pièce de départ d'une tout autre façon. Le prisme utilisé pour Purcell ne dépasse pas le niveau d'un faux-nez posé sur les lignes élégantes de ce phare musical de la mélancolie baroque.

Les chanteurs de Musicatreize sont disposés en demi-cercle avec, à l'arrière deux ensembles de percussions et, latéralement, deux pianos, une trompette et un trombone. Une esquisse de gestes et de mouvements fait office de mise en scène – précieuse économie visuelle qui nous épargne au moins de ce côté-là. Pour le reste, tandis que les cuivres surnagent dans des traits approximatifs, fonctionne un enregistrement tournant à des vitesses différentes. Les pleurages de bande s'organisent avec une précision machiavélique, suivant les contours mélodiques à un demi-ton de décalage. On se saisit souvent d'une cellule à trois pour la déformer, la systématiser, la multiplier et faire éclater le cadre harmonique initial. Ce Purcell sous acide fourmille de gags et de gadgets sonores (air initial de Didon avec farce d'étudiants de conservatoire en coulisse, sifflotements de marins mués en nains de jardin sur Come away fellow sailors, sorcières avec appeaux et sifflets, etc.).

En deuxième partie, on retrouvait El regreso (Le retour), opéra écrit sur un livret d'Alberto Manguel et créé à Aix-en-Provence à l’été 2010. L'entrée des musiciens et des chanteurs se fait au rythme saccadé et violent d'une pluie de claves. Cette musique de la mélancolie renoue avec les meilleurs moments du cycle Présences. Elle alterne suspensions d'accords aux pianos et dialogues fragmentés, lus et chantés par des voix empreintes de spleen et de désillusion. Tour à tour en français et en espagnol, le texte n'a qu'un défaut : celui de contraindre l'auditeur à scruter son programme pour en retrouver le sens, faute de surtitrage. On y perçoit une sorte de Lost in Translation aux éclairages kafkaïens, le tout avec une maîtrise très sud-américaine du récit baroque et elliptique. Le personnage de Fabris y emprunte même des accents à Golaud.

L'écriture musicale dose élégamment les traînées de cuivres aux écrasements de sons bouchés et le retour lancinant d'un dessin mélodique. La musique ne contrarie pas la diction, elle lui offre un cadre confortable, laissant s'épancher le mot vers une prononciation théâtrale décomplexée. Beaux moments madrigalesques chantés et parlés. Les musiciens quittent la scène comme ils étaient arrivés (au rythme des claves), laissant le couple de cuivres s'interroger en boucle dans une énième réitération du thème central.

DV