Chroniques

par isabelle stibbe

Orphée et Eurydice
opéra de Christoph Willibald Gluck

Opéra national de Montpellier / Corum
- 3 février 2008
l'Orphée de Roberto Alagna à l'Opéra national de Montpellier
© luc jennepin | opéra national de montpellier

Véritable fil rouge de l'histoire de l'opéra, le mythe d'Orphée en marque la naissance avec les deux Euridice de Jacopo Peri et de Giulio Caccini (1600), et surtout l'Orfeo de Claudio Monteverdi (1607) dont on a célébré l'anniversaire l'an dernier. Si au cours des siècles le thème inspire toujours les compositeurs, d'Offenbach (Orphée aux Enfers) à Milhaud (Les malheurs d'Orphée), c'est qu'Orphée a valeur de symbole, mettant en scène le pouvoir de la musique et pointant la question fondamentale de l'équilibre entre musique et texte, enjeu au cœur de le réforme de Gluck.

Aborder une œuvre aussi capitale qu’Orphée et Eurydice de Gluck pourrait impressionner un jeune metteur en scène. Ce ne semble pas être le cas de David Alagna. Au contraire : comme si les trois versions de l'œuvre ne suffisaient pas – celle de la création, en italien, à Vienne (1762) ; la l’adaptation française de Pierre Louis Moline (1774) ; enfin celle arrangée par Berlioz (1859) – le compositeur du Dernier jour d'un condamné en commet une quatrième. Ainsi ajoute-t-il un prologue mimé au cours duquel les amants célèbrent leurs noces par une valse, avant qu'un accident de la route ne mette fin à leur bonheur en prenant la vie d'Eurydice. Si l'on n'a rien contre les transpositions modernes (encore qu'elles ne soient pas nécessairement le meilleur moyen pour se rapprocher des héros et de leurs passions), fallait-il vraiment remplacer l'Amour par un agent des pompes funèbres et supprimer la fin heureuse voulue par Gluck ? On passera sur l'esthétique « fourre-tout » de David Alagna et son overdose de fumigènes, pour stigmatiser la caractérisation des personnages, parfois à la limite du contresens. On ne s'explique pas pourquoi au troisième acte, Orphée, à plat ventre, s'ennuie ferme devant les plaintes d'Eurydice qui de mégère se mue en coquette et n'hésite pas à tromper son mari sous ses yeux : si Orphée manque à sa parole de ne pas se retourner, c'est par jalousie… piètre psychologie.

Cette mouture, récemment créée au Teatro Comunale de Bologne, a suscité bien des critiques en Italie. Les spectateurs de l'Opéra national de Montpellier semblent en avoir vu d'autres. Ou plutôt, ils placent la mise en scène au second plan pour mieux savourer l'interprétation de Roberto Alagna. Dans la lignée des Orphée-ténors (Nicolaï Gedda, Léopold Simoneau ou Richard Croft), il prête sa voix au rôle-titre masculin. Moins attendu dans ce type de répertoire, le chanteur n’en séduit pas moins. Sa voix tonique fait éclater la clarté du timbre mais laisse aussi s'épancher le grave, tandis que la richesse des harmoniques crée des colorations subtiles. Le ténor lyrique chante avec une simplicité poignante et les phrases, aussi longues soient-elles, se déploient sans effort, dans une ligne impeccable. Comme toujours la diction est excellente, impressionnante même, et se passe des sous-titres d'un bout à l'autre des trois actes. Le seul défaut tient au jeu : si l'artiste semble capable de tout faire, jusqu'à chanter allongé ou la tête en bas, il souffre d'un manque d'incarnation. Jamais le spectateur ne voit Orphée mais Alagna jouant Orphée. À ses côtés, le baryton Marc Barrard (Le Guide) paraît plus terne et son vibrato trop large. Serena Gamberoni (Eurydice) ne démérite pas grâce à une voix pleine et puissante, même si elle moins sonore dans le grave.

L'Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon, dirigé par Marco Guidarini, joue avec une tendresse qui aurait sans doute gagnée à se faire entendre dans une salle plus petite que le Corum. Le célèbre solo de flûte est exécuté avec une délicatesse émouvante. On regrette que ce moment suspendu soit gâché, en coulisses, par le bruit du changement de décors. Une fausse note bien mal à propos.

IS