Chroniques

par marc develey

Orchestre National d'Île de France
Yoel Levi joue la Sixième de Mahler

Théâtre Mogador, Paris
- 15 octobre 2005
le chef Yoel Levi, patron de l'Orchestre National d'Île de France
© carl vandervoort

À la tête de l'Orchestre National d'Île de France, Yoel Levi livre une bien sage Symphonie en la mineur n°6. C'est avec peine qu'on parvient à déceler dans une œuvre à laquelle Mahler lui-même donna le sous-titre Tragique, un peu de ce « ton de sauvagerie panique » qu'Adorno en son temps lui reconnut. La marche d'ouverture, tonique et contrastée, servie par une accentuation sans emphase et des tutti massifs, mais sans cette graisse indigeste qu'apporte un excès del egato, laissait pourtant augurer de belles qualités. Le quatuor d'introduction du troisième mouvement nous vaut quelques mesures d'une émouvante tenue, et les soutiens en tremolo des violons apportent, ici et là, une tranquille clarté au sombre décours des premier et quatrième. L'ensemble demeure d'une grande lisibilité : le parcours de toute l'amplitude sonore de la partition mahlérienne ne nuit jamais à l'homogénéité d'une interprétation sensible aux glissements des différents plans instrumentaux les uns sur les autres.

Il est fort dommage, alors, que l'exécution soit gâchée par un pupitre de vent inégal, une articulation monotone et un parti pris interprétatif qui, pour garder en toute chose un niveau mesuré, en devient vite quelque peu ennuyeux. Ni le délicat velouté des bois de l'Allegro energico initial, ni l'oblation issue de l'entremêlement de la clarinette et de la flûte dans l'Andante moderato, ne font oublier le son laborieux du hautbois dans ce même mouvement, ou l'échec de la clarinette à répondre au violon solo (Scherzo).

La musique de Mahler, intime parfois au point qu'elle épouse, le temps de quelques mesures, un contour chambriste, est très sensible à ces imprécisions. Par ailleurs, musique cellulaire, si l'on veut, elle travaille dans la répétition toujours avortée d'un matériau thématique d'une grande richesse. Elle reste cependant traversée de gestes idiosyncrasiques qui obligent le chef à penser la circulation d'un trait dans toute la partition en fonction de sa valeur locale – nous voulons dire de son économie dans le déploiement thématique – plutôt qu'en référence à la conception historique qui en fait un jalon dans l'histoire de la musique antérieure à la composition de l'œuvre. Pour le dire de façon simple : que Mahler ait l'un de ses deux visages tournés vers le XIXe siècle ne doit pas donner à son interprétation une tournure brahmsienne.

De façon générale, Yoel Lévi a ignoré la nécessité de ces variations autour des traits de l'écriture mahlérienne, projetant la symphonie dans un monde parfois anecdotique et jamais à la hauteur des excès de son écriture. Pour bonne part, c’est l'effet d'une articulation monotone, alourdissant chaque accentuation d'une même recette. Des danses molles du deuxième mouvement, l'on finit par s'ennuyer, au rythme sage d'un immuable croche-croche (première croche accentuée) ; et son malheureux écho en croche-pointées-doubles, dans le dernier, ne convaincu pas plus. Plus largement, la lecture du texte mahlérien fait preuve d'un trop grand sens de la mesure. Quelques symptômes, peut-être : les basses insuffisamment inquiétantes du Scherzo et du Finale, les cloches non assumées, déconnectées du d’ensemble, en particulier dans le dernier épisode, là où, jouées piano, elles pourraient donner à entendre les lointains depuis lesquels elles sont supposées sonner.

Certes, tout est le plus souvent vigoureux, un peu lourd, et élégant. Mais tout, depuis le kitsch romantique du deuxième mouvement jusqu'à la sensualité du troisième ou la vigueur du dernier, tout manque d'audace et – l'on nous pardonnera l'expression – d'un certain sens de l'infini tragique. Facture d'un certain classicisme biedermeier, peut-être, digne et honnête à n'en pas douter… mais cela seulement.

MD