Chroniques

par bertrand bolognesi

Nikolaï Lugansky, Orchestre national de France, Emmanuel Krivine
Antonín Dvořák, Modeste Moussorgski et Sergueï Rachmaninov

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 17 octobre 2018
Le pianiste russe Nikolaï Lugansky joue le Deuxième Concerto de Rachmaninov
© marco borggreve

À la veille d’une tournée en Chine (du 24 octobre au 3 novembre), l’Orchestre national de France présente un programme slave, concentré sur la jonction entre XIXe et XXe siècles. Sous la direction de son chef attitré, Emmanuel Krivine, il entame la soirée par une interprétation délicate de l’Ouverture de Khovantchina (1881), opéra laissé inachevé par Modeste Moussorgski – Rimski-Korsakov, puis Chostakovitch s’attelèrent à la compléter afin qu’il pût gagner la scène [lire nos chroniques des productions de Stein Winge, Alfred Kirchner, Andreï Serban et Dmitri Tcherniakov]. L’infinie douceur ici ménagée relève d’un attentif dosage, l’équilibre et la mise en place toujours précisément contrôlés. Avant de s’éteindre dans un subtil velours, la page gagne une emphase relative dans les cloches solennelles des pizz’ de contrebasses.

Après ce début prometteur, le deuxième opus n’est guère à son avantage. De l’âpre Concerto pour piano en ut mineur Op.18 n°2 de Sergueï Rachmaninov (1901) l’on entendit maintes versions plus probantes, il faut l’avouer. Au clavier d’un instrument dont s’étiole le grave et l’aigu claque, l’excellent Nikolaï Lugansky – il a gravé l’œuvre, avec Sakari Oramu, il y a quelques années [lire notre critique du CD] – ouvre le Maestoso dans une nuance ténue qui invite le tutti. D’emblée l’impression s’impose que l’orchestre avancerait en aveugle derrière le piano. Aussi le soliste se voit-il contraint d’un peu plus marquer que de raison sa partie, afin d’assurer d’incertaines retrouvailles, au fil d’un mouvement laborieux dont s’englue le tempo. Le dialogue entre piano et clarinette solo, qui commence l’Adagio sostenuto, bénéficie de la tendre inflexion de Christelle Pochet, dans un phrasé ample, de fort belle tenue. L’Allegro scherzando ne tient pas : on ne peut pas dire que soliste et orchestre ne sont pas ensemble, mais c’est comme s’ils ne l’étaient pas. Après un final assez lourd, Nikolaï Lugansky [photo], qui sera de la tournée asiatique de l’ONF, ainsi que le flûtiste Emmanuel Pahud, offre en bis la première des Romances Op.16 de Tchaïkovski, Berceuse adaptée par Rachmaninov – et soudain, Dame Musique est revenue !

Créée le 2 février 1890 au majestueux Rudolfinum de Prague, la Symphonie en sol majeur Op.88 n°8 d’Antonín Dvořák plut immédiatement au public, bien qu’elle ait décontenancé la critique du temps. L’introit de l’Allegro con moto charme l’écoute, servi par l’onctuosité généreuse des violoncelles et des trombones. Emmanuel Krivine accomplit un fin travail de nuance, avec la complicité de musiciens tout dévoués à l’œuvre. L’architecture profite d’une ciselure ferme dont l’expressivité jouit du relief nécessaire, savamment distillé dans la tonicité, parfois péremptoire, d’un mouvement par ailleurs pastoral. L’opposition impérative entre le moelleux général et les vindictes fragmentaires de l’Adagio semble habitée d’une dramaturgie secrète. L’élégance de cette lecture met en valeur chaque pupitre, principalement dans le second motif, fort gracieux. Des appels de cors presque théâtraux invitent, sourcils froncés, l’ultime développement. Une suavité savoureuse caractérise l’Allegretto grazioso, danse slave où la vélocité des bois bientôt fait florès. Un appel de trompette invite le final, Allegro ma non troppo où les violoncelles renouent avec la noblesse initiale. L’alternance des salves vaillantes et de demi-teintes précieuses signe une approche raffinée.

BB