Chroniques

par laurent bergnach

Médée
opéra de Luigi Cherubini

Opéra de Dijon / Auditorium
- 19 mai 2016
Jean-Yves Ruf met en scène Médée de Cherubini à l'Opéra de Dijon
© gilles abegg

Si Luigi Cherubini (1760-1842) est né à Florence, et que nombre d’interprètes ont immortalisé la fille d'Éétès et d'Idyie dans la traduction italienne conçue par Carlo Zangarini au début du XXe siècle – Callas, Jones, Freni, Antonacci [lire notre critique du DVD] –, gardons à l’esprit que sa Médée est d’abord née du livret français de François-Benoît Hoffman, pour une création au Théâtre Feydeau (Paris) le 13 mars 1797. Le sujet n’est pas neuf, et l’on sait l’auteur de Lodoïska (1791) [lire notre critique du CD] sur les pas de Lully (Thésée, 1675), Charpentier (Médée, 1693), Colasse (Jason ou la Toison d’or, 1696), Salomon (Médée et Jason, 1713), mais encore Mondonville (1765) et Gossec (1782) qui reviennent au livret de Quinault, ainsi que Vogel (La Toison d’or, 1786).

Scénographe de cette coproduction avec Rouen, Laure Pichat encadre le plateau percé de quatre bassins d’eau rituelle – escamotables pour une scène de réclusion – par trois murs formés de deux rangés de panneaux pivotants, qui laissent passer les protagonistes pour ceux du bas, et juste la lumière pour ceux du haut. Assujettie à Christian Dubet, celle-ci teinte la pierre gris-ardoise en vert-de-gris ou cuivre sombre. C’est dans ce monde froid et circonscrit que Jean-Yves Ruf fait entrer Médée, femme libre qui ose l’habit noir appartenant aux seuls roi et prêtres à Corinthe, certes tourmentée comme les flammes qu’elle affectionne mais capable aussi de s’agenouiller devant son mari pour obtenir un retour. Lui est aussi résigné à de nouvelles noces que Dircé effrayée par ce projet. En faisant table rase des amours de Jason, l’aventurier qui cherche une place dans la société, Médée « recrée un monde où tous deux sont de nouveau dans le même monde, celui des errants, des esseulés, des condamnés ».

Dans le rôle-titre, la Belge Tineke van Ingelgem possède un soprano facile et large, mais encore l’autorité nécessaire. Sa rivale Dircé n’est pas en reste, incarnée par l’attachante Magali Arnault Stanczak au chant agile, bien projeté et parfois incisif [lire notre chronique du 25 janvier 2015]. Avec son assise grave et charnue, le mezzo Yete Queiroz (Néris) séduit tout autant [lire notre chronique du 20 juillet 2011]. Stabilité, tendresse et fermeté caractérisent Frédéric Goncalves (Créon) [lire nos chroniques du 27 mai 2015 et du 16 février 2013], présence masculine préférée au Jason d’Avi Klemberg, ténor qui se laisse trop souvent emporter par sa force. Un Chœur de l’Opéra de Dijon efficace, Dima Bawab, Léa Desandre (Suivantes), Isaac El Hadad et Quentin Mura (Fils de Jason) complètent la distribution.

Opéra-comique oblige, nos artistes livrent des scènes parlées.
On leur fit grâce des alexandrins originaux au profit d’un texte simplifié, accompagné d’une œuvre sonore signée Jean-Damien Ratel et David Jackson – « comme si l’on utilisait la résonance de la musique [de Cherubini]et qu’on la faisait perdurer sous une autre forme, en creux », explique Ruf. Assez discrète, cette atmosphère laisse heureusement la vedette aux pages principales qui marient la tension italienne aux brumes nordiques, un classicisme mourant à l’aube du romantisme (Prélude sauvage de l’Acte III). Formidable de clarté, de souplesse et d’allant, Nicolas Krüger magnifie les qualités de l’Orchestre Dijon Bourgogne.

LB