Chroniques

par isabelle stibbe

Monkey, Journey to the West | Singe, pérégrination vers l’Ouest
opéra pop de Damon Albarn

Théâtre du Châtelet, Paris
- 27 septembre 2007
Monkey, Journey to the West, opéra pop de Damon Albarn
© marie-noëlle robert

Agaçante pour certains, stimulante pour d’autres, éclectique pour tous, telle apparaît la programmation du Châtelet depuis que Jean-Luc Choplin en a pris les rênes, il y a deux ans. Si la saison dernière, les affiches kitsch du Chanteur de Mexico fleurissaient Paris, c’est au tour des dessins haut en couleur de l’opéra pop Monkey, Journey to the West d’orner murs et bus de la capitale. Inspirée d’un classique de la littérature chinoise de la fin du seizième siècle, Xi You Ji (La Pérégrination vers l’Ouest) de Wu Cheng, cette nouvelle création ouvre la rentrée par une rencontre entre les arts traditionnels chinois et la culture occidentale contemporaine.

Pour ceux qui ne seraient pas familiers de la culture asiatique, signalons que le roman originel relate les quatre-vingt-une épreuves de Tripitaka, un moine bouddhiste qui, accompagné par le Roi Singe et trois autres animaux, entreprend un voyage vers l’ouest (l’Inde) afin d’en rapporter les Écritures saintes censées protéger la Chine de la décadence. Épopée picaresque évoquant, si l’on devait absolument comparer l’œuvre à nos classiques occidentaux, Don Quichotte ou Rabelais, sa transposition en un opéra de moins de deux heures tenait de la gageure. Chen Shi-Zheng a choisi de concentrer l’action autour du Singe et de resserrer l’intrigue à neuf épreuves, de sa naissance à son apothéose bouddhiste. Restait à trouver le compositeur capable d’offrir une musique moderne à la croisée entre ouest et est. C’est Damon Albarn, chanteur du groupe Blur et cofondateur du groupe de musique virtuel Gorillaz, qui s’est attelé à cette tâche. Après avoir accompli par deux fois son propre voyage en Chine, accompagné de son fidèle complice Jamie Hewlett, qui signe ici la conception visuelle du spectacle, le musicien britannique a réalisé une partition originale et assez plaisante. Sons électroniques se mêlent aux chants chinois, dans une variété de styles étonnante puisque instruments occidentaux (violons, piano…) sonnent de concert avec des instruments chinois comme le pipa ou le zheng, et même un instrument inventé par Albarn, le klaxophone, évoquant les klaxons des métropoles chinoises.

Plus que la musique, le clou du spectacle revient à la scène. Dans une profusion d’inventions visuelles, plusieurs dizaines de circassiens, interprètes d’arts martiaux, chanteurs, se révèlent aussi bons acrobates que musiciens et comédiens. Artistes complets, ils font alterner humour – les pitreries du singe, les facéties de l’étoile de mer – et émotion – le chant de la Reine mère des cieux, la danse des femmes araignées. L’aspect merveilleux du roman permet de faire se succéder une multitude d’ambiances diverses et remarquablement mises en lumière et en images : du fond de la mer orientale au volcan rouge, les neuf tableaux sont tous soignés dans le détail, le point culminant étant certainement le final où des femmes-fleurs jonglent avec des assiettes chinoises.

Entre rollers, manga, kung fu et musique électronique, cet opéra du vingt-et-unième siècle est bien de notre temps. En mêlant à ce point tous les arts et les techniques, peut-être renoue-t-il avec le projet de la Camerata fiorentina, il y a quatre cents ans. Et aux puristes pour lesquels hors du répertoire, point de salut, on donnera peut-être envie d’aller voir Monkey en leur disant que la scène de rébellion du singe, emprisonné dans la main de Bouddha, n’est pas sans évoquer la scène de Don Giovanni où le Commandeur demande au libertin de se repentir.

IS