Chroniques

par laurent bergnach

Modell – hij
vidéos de Pierre Reimer – musiques de Mark Andre

Festival d’Automne à Paris / Amphithéâtre Bastille
- 9 novembre 2011
vidéos de Pierre Reimer – musiques de Mark Andre
© pierre reimier

Dans cette même salle où nous avions découvert la Musiktheater-Passion …22,13… il y a quelques années [lire notre chronique du 28 septembre 2004] s’opère aujourd’hui la rencontre de Pierre Reimer, vidéaste d’abord connu comme photographe (galerie Agathe Gaillard, galerie du jour agnès b., etc.), avec le travail de Mark Andre. Né à Paris en 1964, en possession des premiers prix de composition, contrepoint, harmonie, analyse et recherche musicale au CNSM (Paris), ce musicien doué se perfectionne auprès d’Helmut Lachenmann (Stuttgart) et s’initie à l’électronique musicale avec André Richard (Freiburg). Il vit désormais en Allemagne où furent crées deux des trois œuvres présentées ce soir : Modell, au Festival de Donaueschingen 2001, et …hij…, à la Philharmonie de Cologne, le 30 avril 2010. Pierre Reimer découvre la plus ancienne à sa création et s’avoue bluffé :

« C’est une musique exigeante dont une grande qualité à mes yeux est de me donner un sentiment de compréhension qui ne devient éclatant que dans les dernières minutes. Ce genre de risque ne peut que me plaire. Modell peut être compris comme la transcription d’un événement singulier : l’explosion d’un atome dans l’accélérateur de particules du Cern [1]. Cette « transcription » est décrite, étendue sur une durée de quarante-cinq minutes et rendue dans ses complexités par cinq groupes d’orchestres, dont quatre sont autour du public. »

La pièce qui chemine dans l’héritage varèsien – début déstructuré aux lourds accords graves (basson, contrebasse), déflagrations (métal des percussions, claquement de cordes, stridences des cuivres), brouhaha plus calme sans relief particulier, finale en souffles et raclements –, nous l’abordons aujourd’hui par un enregistrement du SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg sous la direction de Sylvain Cambreling, qu’accompagne un film tourné en République tchèque durant plus d’un an, lequel peut se diviser en deux parties.

Le début mêle paysages urbains et sylvestres (balcons, dépôts d’ordures, etc.), objets sur fond uni et « expérimentations » mouvantes (ligne de taches suivie au sol, cadrage depuis un monte-charge, slip vert recouvrant l’objectif tel un masque, etc.). Ce fourre-tout est suivi d’un huis clos plus intéressant, dans une sorte de galerie ou d’atelier d’artiste, avec des feuilles de papier décorées sur les murs (têtes de monstres, dessins géométriques) ou simplement blanches qui pendent du plafond. Des jouets en plastiques occupent l’espace sur des fils tendus, avancent mécaniquement entre des tables immaculées ou s’illuminent de l’intérieur au besoin – ce dont témoignent travellings et mouvements courbes qui rendent le montage moins chaotique qu’auparavant.

Abréviation de Hilfe Jesu, …Hij… et sa vingtaine de minutes dirigée par Emilio Pomarico engendrent Hij, soit le retour à une caméra-journal des plus ennuyeuses qui saisit la « vraie vie » depuis l’habitacle d’une voiture. Tranchant avec un horizon sans fin vers lequel on roule, le vol de rapaces au-dessus du véhicule à l’arrêt et un manège forain perdu dans une campagne désolée sont les rares instants qui nous attachent à ce « road movie musical ». C’est ainsi : le Festival d’Automne à Paris a toujours fait preuve d’une curiosité et d’une audace inestimables, mais il arrive que certains de ses rendez-vous, profondément anecdotiques, fassent fuir le public en cours de route, à juste titre.

Transition aux deux films, iv1 pour piano nous ramène à l’essence musicale. Yukiko Sugawara, sa créatrice le 27 novembre dernier au Festival Rainy Days (Luxembourg), en joue la seconde partie sur les cordes de l’instrument, libérant des sonorités de harpe, de cymbalum ou d’ukulélé auxquelles s’ajoutent quelques martellements du bois. Méditative et minimaliste, iv1 est gâchée par le concert des tousseurs – ouvert par une spectatrice « de passage » – qui offre à l’œuvre le triste record de quintes à gorge déployée entendues sur une aussi courte durée. À ce vil sabotage, on préfère un « ridicule ! » crié au terme des saluts du compositeur et de son interprète, car le monsieur mécontent rappelle à sa manière que la musique est bien une expression artistique, que chacun aborde avec sa propre sensibilité. Et un minimum de respect.

LB

[1] Gardant son acronyme d’origine (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire, en 1954), l’Organisation abrite l’un des plus grands laboratoires scientifiques du monde, dont la vocation est la physique fondamentale, la découverte des constituants et des lois de l’Univers.