Chroniques

par bertrand bolognesi

Marc Albrecht joue la Résurrection de Mahler
un nouveau chef pour l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Palais de la Musique et des Congrès, Strasbourg
- 29 septembre 2005
un nouveau chef pour l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht
© marco broggreve

S'il n'est jamais bon qu'un orchestre reste trop longtemps sans directeur musical, celui de Strasbourg peut désormais se réjouir, puisque cette soirée marque la prise de fonction de son nouveau chef, Marc Albrecht. À quarante et un ans, le musicien allemand – que nous avions eu le plaisir d'entendre au pupitre du fliegende Holländer à la Deutsche Oper de Berlin [lire notre chronique du 7 juin 2003] – s'est déjà forgé une expérience non négligeable. Il dirige cette fois les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans la Symphonie un ut mineur n°2 dite « Résurrection » de Gustav Mahler, un choix tant festif qu'évocateur pour un tel événement.

Dynamisant brillamment le début de la Totenfeier avec une urgence que caractérise la morsure du thème de contrebasses, comme suspendu sur la pédale des violons, Marc Albrecht n'en accuse que légèrement les contrastes, dans une lecture relativement réservée où il ne livre presque rien, gardant ses secrets tout en soignant un travail délicat d'équilibre des timbres. Les instrumentistes semblent s'être donnés le mot pour le faire le mieux qui soit : les soli s'avèrent en général probants. Comme nous le remarquions dimanche lors du concert que la formation donnait dans le cadre du festival Musica [lire notre chronique du 25 septembre 2005], altos et violons sont souvent raides, avec des unissons problématiques. Loin de nous l'idée de les en stigmatiser : à l'heure actuelle, cet orchestre privé de chef de pupitres nommées ne bénéficie plus de l'organisation pyramidale nécessaire pour que les relais énergétiques se fassent naturellement, ce qui occasionne une regrettable déperdition de qualité.

C'est sous un éclairage particulier que le chef amène les interventions chambristes de ce mouvement, conduisant les tutti avec précision et clarté. Sa prudence, peut-être parfois un rien frileuse, ménage au bout du compte un effet plus dramatique au retour du thème de contrebasses/violoncelles, superposé à la plus violente percussion. Si dans la dernière partie de l’épisode son option se révèle progressive, le ralenti qui précède la dernière reprise paraît beaucoup trop appuyé.

Moins concluante s'avère l'exécution de l'Andante moderato : les cordes accusent plus encore leur faiblesse momentanée, la sonorité manque cruellement de suavité et la progression du passage en pizz' demeure laborieuse. En revanche, l'articulation du Scherzo jouit d'une gracieuse élégance, jusqu'à gommer l'incongruité de certains alliages qui semblent n'être pas du tout assumés, en fait, comme mis au second rang. C'est fort dommage, car le sarcasme (ce sarcasme qui influencerait tant Chostakovitch) s'en absente. Cela dit, on saluera l'appréciable stabilité qu'obtient Marc Albrecht, tout en affirmant le relief nécessaire.

Si les remarques précédentes contredisent l'approche que nous avions au printemps dernier, lorsque l'OPS donnait la Sixième de Mahler [lire notre chronique du 28 avril 2005], les bois ne la feront certes pas mentir : irréprochables depuis le début, ils affirment plus encore leur excellence dans les deux derniers mouvements. D'un timbre chaleureux à l'expressivité paisible, le contralto Ewa Marciniec pose un O Röschen rot magnifiquement porté, développant l’Urlicht un chant extrêmement phrasé, et libère la plénitude de la voix dans Auferstehung. On regrettera le timide soprano de Michaela Kaune dont l'aigu paraît étroit, voire ingrat. Les artistes du Chœur de l'OPS associés à ceux du Chœur National Letton parviennent à une homogénéité rare lorsqu'on rassemble deux formations, au service d'une réalisation vaillante autant que nuancée. Dans ce dernier mouvement, le chef s'engage plus, laissant s'exprimer les sonorités volontairement disgracieuses de l'œuvre à laquelle, sans exagération malvenue, il donne l'emphase attendue.

En résumé, l'on pourra dire avoir assisté à un beau travail de détails, toujours prudemment attentif à l'équilibre, manquant quelque peu d'horizon ou de pensée, si ce n'est de folie. Gageons que le temps à passer aux côtés des musiciens strasbourgeois invitera Marc Albrecht à des audaces autrement passionnantes.

BB