Chroniques

par laurent bergnach

mélodies de Dmitri Chostakovitch

Maison de Radio France, Paris
- 3 mars 2006
Le compositeur russe Dmitri Chostakovitch
© dr

Ce nouveau week-end de Radio France, sur le thème Musique et littérature, propose trois rendez-vous bienvenus avec les mélodies de Dmitri Chostakovitch. Ce tout premier récital permet de rendre compte de la variété des sources utilisées tout au long de la carrière du compositeur russe, et d’une prédilection pour les sujets tragiques non dénués d’ironie.

Ainsi cette courte Préface à l’édition complète de mes œuvres et brèves réflexions à propos de cette préface Op.123 (1966) offre-t-elle à Chostakovitch de livrer avec sarcasme les différents titres et fonctions qu’il reçut en tant qu’artiste du peuple de l’URSS. Juste avant, comme une parodie d’autocritique, il cite Pouchkine, lequel « torture les oreilles du monde entier » avec ce qu’il ose faire imprimer. Le baryton Eduard Tsanga, soliste du Mariinski depuis cinq ans, séduit d’emblée par son ampleur et sa vaillance. Dans les Six romances sur des textes de poètes anglais Op.62 (1942), nous aurons le temps d’apprécier la rondeur et les nuances de son chant, la grande concentration apportée à rendre émouvantes ces histoires écrites par Walter Raleigh ou Robert Burns, avec leur cortège de jeune homme conduit à la potence, de jeune fille embrassée dans les blés, etc. Si la rengaine et le ton primesautier émergent parfois, le climat général du cycle est implacable, voire désabusé – comme pour ce Sonnet LXVI emprunté à Shakespeare.

Au piano, Larissa Gergieva, avec beaucoup de retenue et de délicatesse, livre un jeu introspectif qui domine la soirée. Professeur de piano devenue répétitrice, la sœur de Valery Gergiev, directrice générale du Concours International Rimski-Korsakov depuis 1992, accompagne de nombreux artistes tels Olga Borodina, Larissa Diadkova, Vassili Gerello, Galina Gorchakova, Mikhaïl Kit, Elena Obratzova, Nikolaï Otkhotnikov, Velentina Tsedipova ou Grair Hanedanian, son époux.

Avant de se rencontrer peu après la fin de la guerre, Chostakovitch et Evgueni Dolmatovski avaient participé à un même concours : celui de la création de l’hymne national qui devait remplacer l’Internationale française en vigueur depuis la révolution bolchevique. Inspiré par le poète, le musicien livre en 1954 Cinq romances Op.98 et, peu avant, Quatre chants sur des textes de Dolmatovski Op.86 en 1951. Ces derniers convoquent des climats multiples – héroïque (La patrie entend), désolé (Sauve-moi) ou apaisé (Berceuse) –, avec toujours la guerre en filigrane. Irina Mataeva, élève de Tamara Novichenko, fit également son apprentissage au Mariinsky. La voix est claire, souple, sonore, le timbre riche, mais on reprochera au jeune soprano une tendance à surjouer les moments tristes. Son expressivité est mieux adaptée à une mélodie plus légère comme Aimer ou ne pas aimer ou, après l’entracte, Deux chants d’Ophélie.

À l’instar de Larissa Gergieva, Ekaterina Semenchouk [lire notre chronique du 28 janvier 2003] saisit par une économie de moyens qui n’exclue ni caractère, ni charisme. Dès la première des Deux romances Op.84 (1950) d’après Lermontov, le Byron russe, l’émotion est là que notre lauréate à de nombreux concours internationaux conserve durant les Chants espagnols Op.100 (1956). Dans ces pièces pétries de nostalgie et d’amour déçu, tour à tour lentes ou dansantes, et inspirées de mélodies ibériques, le mezzo-soprano alterne force et tendresse. Son timbre sombre met un terme à une soirée dont on retiendra la belle mélancolie.

LB