Chroniques

par bertrand bolognesi

Ludwig van Beethoven et Antonín Dvořák
Tamás Varga, Wiener Philharmoniker, Andris Nelsons

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 22 mars 2017
Andris Nelsons dirige les Wiener Philharmoniker au Théâtre des Champs-Élysées
© marco borggreve

Deux mois avant que sept d’entre eux jouent Berg, Mahler, Mozart et Strauss avec le soprano Yeree Suh, avenue Montaigne (Wiener Solisten Septett, le 31 mai prochain), les Philharmonistes viennois retrouve la plus jeune des salles de concerts parisiennes dignes de ce nom pour un programme ouvert au crépuscule du romantisme et fermé à son aube. Après le Concerto pour violoncelle en si mineur Op.104, l’esthétique encore brahmsienne d’Antonín Dvořák avancerait vers Rusalka, opéra Jugendstil écrit cinq ans plus tard – dans les dernières années de sa vie, le compositeur bohêmien s’inscrit dans un temps qui est encore le sien, celui de l’art nouveau, mais qui surtout sera celui de la jeune génération, Richard Strauss en tête, lui-même signalant cette modernité-là à travers quatre poèmes symphoniques (Tod und Verklärung, Till Eulenspiegels lustige Streiche, Also sprach Zarathustra et Ein Heldenleben, de 1891 à 1899) avant que de s’y engager plus encore par Salome et Elektra, ses deux tragédies antiques.

Andris Nelsons cisèle subtilement l’introduction piano de bois experts, puis engage l’Allegro dans le soyeux des cordes, avec un panache certain. Le chef letton prend son temps et soigne la couleur où se dessinent bientôt les traits chatoyants du cor et de la clarinette. Une tendance excessive au rubato encombre toutefois sa lecture, faisant un sort à l’introduction jusqu’à l’entrée du soliste. À l’inverse, la délicatesse et la concentration du jeu de Tamás Varga, nourrissant des phrasés de toute beauté, réinstalle l’écoute dans la précision et l’interprétation dans le nerf qui sied à l’œuvre. Mais les musiciens semblent avoir du mal à se rencontrer tout au long d’un premier mouvement mal équilibré que Nelsons conclut dans une lourdeur surprenante. Le miracle survient dans l’Adagio ma non troppo, tout en finesse. Chef et solistes dînent enfin à même mense, favorisant une approche soigneusement nuancée. Le chant du violoncelle prend son irrésistible envol, contrepointant les répons superbement réalisés des bois. Ce raffinement n’induit pas l’atténuation des contrastes qui articulent l’épisode, opérant ici plus en muscle qu’en volume. Au passage, l’on admire la grande qualité des cuivres, dans un choral qui va de soi. L’Allegro moderato redémarre en force, mais sans l’artillerie du chapitre initial, définitivement abandonnée par la baguette. Les emphases jubilatoires revêtent une discrétion dont profite le lyrisme fort probant de cette version. Les ultimes mesures sont adroitement resserrées, loin de la complaisance qu’on aurait d’abord pu croire. À la fête qu’à ce violoncelliste sensible qui maîtrise parfaitement sa technique le public réserve, rétorque est faite par un bis empruntant à Bach (Sarabande de la Suite en ut majeur BWV 1009).

Entre 1805 et 1808, Ludwig van Beethoven écrit la Symphonie en fa majeur Op.68 n°6 « Pastorale » que les Wiener Philharmoniker ont choisie pour cette tournée hors du Musikverein – dans la suite de Die Schöpfung d’Haydn et en amont de la Fantastique de Berlioz, c’est à l’âge classique qu’il est fait adieu. À l’inverse de sa Neuvième donnée ici-même deux saisons plus tôt [lire notre chronique du 11 septembre 2014], Andris Nelsons n’explore pas de sécheresse ancienne et savoure l’indicible soie des cordes pour investir le premier mouvement d’une ampleur flatteuse dont on goûte l’onctuosité non sans quelque gourmandise. En ne doublant aucun instrument et en recourant à toutes les cordes (dont six contrebasses), le chef privilégie une pâte généreuse dont la grâce fait merveille dans l’Andante suivant. Une brume caressante articule le mouvement tout en souplesse. L’Assemblée joyeuse de paysans (Lustiges Zusammensein der Landleute) gagne une tonicité cordiale, sur coussin d’air, une sereine connivence. Les prémices de la tempête s’imposent dans une urgence sourde qui éclate en une véritable furie de théâtre. L’énergie de l’exécution s’y déploie plus nettement encore, déversant rouges et noirs d’encre dans les pupitres, très expressifs. Et l’Hirtengesang de s’élever dans une joie naturelle ! Après cette Sixième de grande classe, les musiciens offrent encore un bis : Beethoven, toujours, avec la frémissante Ouverture, rondement menée, de Die Geschöpfe des Prometheus Op.43 – merci !

BB