Chroniques

par hervé könig

Lucrezia Borgia | Lucrèce Borgia
opéra de Gaetano Donizetti

Euskalduna Jauregia, Bilbao
- 28 octobre 2016
Le jeune Marko Mimica (baryton-basse) dans Lucrezia Borgia de Donizetti à Bilbao
© enrique moreno esquibel

Entre 1818 et 1843, les théâtres lyriques de la botte créèrent plus d’une soixantaine d’ouvrages d’un certain Gaetano Donizetti. Et du compositeur, dont la brève existence n’empêcha pas une productivité invraisemblable (il mourut à cinquante-et-un ans), qui en son temps fit les délices des oreilles florentines, génoises, mantouanes, milanaises, napolitaines, padouanes, palermitaines, romaines, vénitiennes, puis enfin les viennoises et les parisiennes, c’est sa Bergame natale qui révèlerait le tout premier essai en la matière, avec Il Pigmalione écrit à l’âge de dix-neuf ans, enfin joué en 1960 par le théâtre qui porte son illustre nom.

Tandis que Paris affiche, pour quelques représentations encore, son quarante-septième opéra, Lucia di Lammermoor [lire notre chronique du 23 octobre 2016], qu’en versions de concert l’on donne à Marseille deux des tenants de la trilogie Tudor – les numéros trente-deux et quarante-huit sur la liste : Anna Bolena et Maria Stuarda –, sans oublier qu’entre basse montagne et grand fleuve européen, une plaine majoritairement frontiste ose le dépaysement à domicile avec L’elisir d’amore (son trente-huitième), c’est le quarante-deuxième qui séduit le public basque.

Imaginé à partir de la pièce éponyme de Victor Hugo, adaptée par l’érudit mais assez piètre librettiste Felice Romani, Lucrezia Borgia fut créé à La Scala le 26 décembre 1833. En ouverture de sa saison, l’ABAO, association des aficionados d’opéra de Bilbao, programme l’œuvre dans une mise en scène traditionnelle de Francesco Bellotto, coproduite avec les maisons de Bergame, Sàssari et Turin. Pour la scénographie, les contraintes de lieux d’action sont ingénieusement déjouées par le simple dispositif de leurres d’Angelo Sala, qui s’avère parfaitement pratique. Dans les jolis clairs-obscurs de Fabio Rossi, c’est aux costumes qu’il revient de colorer le plateau, ce que réussissent sans conteste ceux, particulièrement flatteurs, de Cristina Aceti. Quant à la mise en scène elle-même, elle suit fidèlement un argument qu’elle assaisonne de quelques saveurs nouvelles, comme le regard du Saint-Père et de sa cour sur l’issue du drame, le ballet au palais Negroni (Martin Ruis) ou encore la discrète évocation d’un attachement homo-sensuel, sinon plus, entre Maffio et Gennaro.

Sans négliger la prestation irréprochable, et principalement masculine, du Coro de Ópera de Bilbao, conduit par Boris Dujin, l’on doit à José Miguel Pérez Sierra une ciselure étonnante de la partition. Les musiciens de l’Euskadiko Orkestra Sinfonikoa répondent en complices à ses désirs, rendant cette musique plus passionnante qu’on la tenait. Dans une salle qui n’est pas conçue pour ce type d’exercice (il s’agit d’un palais des congrès pouvant accueillir deux milliers de personnes en ses murs qui ne présentent guère de qualité acoustique), on se demande comment le chef parvient à ménager l’équilibre entre scène et fosse tout en offrant une lecture si vibrante de Lucrezia Borgia dont il fait miraculeusement sonner les moments-clés.

Ce n’est pas pour rien qu’on parle de bel canto
Pas d’inquiétude, les voix requises sont à Bilbao, aucun doute là-dessus. Et ce dans la plupart des rôles, ce qui n’est pas si fréquent. Applaudissons la projection très confortable de Mikeldi Atxalandabaso (Rustighello), solide ténor qu’au printemps prochain l’on entendra au Capitole, le robuste Alfonso d´Este du jeune baryton-basse croate Marko Mimica [photo], très probant, sans oublier les talentueux Zoltán Nagy (Petrucci), Jesús Álvarez (Liverotto), Manuel de Diego (Vitellozzo), Fernando Latorre (Belverana) et Jose Manuel Díaz (Gazella), tous idéalement distribués. Spécialiste du répertoire italien, le mezzo-soprano Teresa Iervolino [lire notre chronique du 17 septembre 2016], qui incarnera la Cendrillon de Rossini l’été prochain à la Grande boutique, campe un Maffio Orsini élégant et bien mené, mais trop confidentiel.

Remarqué l’an dernier en Edgardo à Liège [lire notre chronique du 17 novembre 2015], le vaillant ténor canarien Celso Albelo charme immédiatement l’assistance. Quoique manque un peu de souplesse dans les premiers moments, son Gennaro emporte l’adhésion, grâce à une couleur inimitable et une technique sans faille. On le dira aussi du soprano roumain, aguerri de toujours au bel canto : les embûches du rôle-titre sont un jeu d’enfant pour Elena Moșuc, impressionnante par l’agilité, le timbre, la musicalité et le jeu. Gageons que les Bilbotars s’en souviendront longtemps !

HK