Chroniques

par bertrand bolognesi

Ligeti Essais – Pigmalion
chorégraphies de Karole Armitage

Festival des Régions / Théâtre du Châtelet, Paris
- 12 juin 2005
Ligeti Essais et Pigmalion, deux chorégraphies de Karole Armitage
© ville de nancy

En octobre 2002 déjà, la chorégraphe américaine Karole Armitage présentait à l'Opéra de Nancy un spectacle hybride : les différentes salles du Château de Barbe Bleu de Bartók s'y trouvaient littéralement jouées par une poignée de danseurs, inscrivant dans les corps mêmes les trésors et les horreurs, l'or et les larmes légendaires. En préambule, elle avait imaginé de chorégraphier la Sonate pour deux pianos et percussion qui venait alors, en une joute délicate, ouvrir cet acte d'opéra. Après une collaboration de trois ans avec le Ballet de Lorraine (Centre Chorégraphique National), cette artiste s'attelait auPigmalion de Jean-Philippe Rameau, acte de ballet créé le 27 août 1743 à l'Académie Royale, offert au public nancéien cet hiver. Dans le cadre du Festival des Régions, qui recevra d'ici quelques jours les Medea [lire notre chronique du 22 mai 2005] et Rondine [lire notre chronique du 4 mars 2005] du Capitole de Toulouse, Pigmalion connaît trois nouvelles représentations au Théâtre du Châtelet.

Obéissant à un schéma comparable à celui choisi pour leprojet Bartók, pourrait-on dire, le spectacle d'aujourd'hui s'est concentré sur une œuvre brève, en un acte, réunissant une distribution restreinte. De la même manière, il s'ouvre par une sorte de prélude dansé, sans voix – ou presque, puisqu'il s'agit ici de voix sur disque. Loin de toute dramatisation de la danse, Ligeti Essais présente une quinzaine de numéros sur autant de chants de György Ligeti, collectés dans deux recueils discographiques. Dans un espace assez froidement délimité par trois lignes de néons courant au sol, sept danseuses et danseurs dessinent de discrètes évocations poétiques. Si Fable embrasse le rythme du support, l'Air de danse s'en affranchit jusqu'à la contemplation. Coolie, donnant naissance à un court solo – Amandine Biancherin –, s'avère savamment graphique, de même que Perruche – Nina Khokham –, mais c'est avec La lune danse en robe blanche que la tournure métaphorique de cette chorégraphie prend son envol le plus évidemment. On pourra voir Une grappe de fruit comme une méditation géométrique s'opposant à La fiancée est une jolie fleur, rite aux secrètes formules alchimiques. Plus gymnaste, Hop ! sur l'estrade est un solo – Grégory Beaumont – plutôt contenu, contrastant avec l'innocence joueuse de Quand mon cher oncle Laci, qui réunit tout ce petit monde en une aérienne agacerie concluant naturellement par les saluts.

Cette danse-là, faisant confiance à la digne force du geste et au bel équilibre plus qu'à la puissance d'un jeu théâtralisé, accuse un relatif classicisme dont bénéficie l'acte de Rameau. Ici, les chanteurs eux-mêmes se soumettent à une gestuelle calculée. Et lorsque trois danseurs sans visages jouent à chat et souris avec Pigmalion amoureux d'un marbre, ou encore soutiennent et s'échangent l'Amour complice, une dimension antique est atteinte. Toutefois, si esthétiques que puissent être ces précieuses déambulations que viennent orner quelques projections de papillons, de fleurs ou de colibri virevoltant, elles paraissent bien maigres face à la richesse orchestrale qui les soutient. D'autant qu'Hervé Niquet pénètre dans la partition avec une dynamique franche, tout en offrant des couleurs soignées. Le Concert Spirituel affirme une nouvelle fois de grandes qualités dont l'équilibre n'est pas des moindres, et l'on en saluera les bois dont la prestation est fort louable. Sur scène, Magali Léger (L'Amour) se préoccupe avant tout d'un aigu flatteur qui risque un beau jour de s'effondrer si elle persiste à négliger les atlantes sensés édifier ces hauteurs. Cassandre Berthon (la statue) révèle une fort belle ligne à son chant, servi par une voix plutôt égale ; un effort de diction serait cependant le bienvenu. Du timbre clair qu'on lui connaît bien, mâtiné d'un bas-médium plus corsé qu'on s'y serait attendu, Cyril Auvity assume le rôle-titre avec une grande souplesse vocale, bien que l'aigu ne témoigne pas, cet après-midi, d'une forme olympique. Si brève que soit son apparition, Valérie Gabail offre une Céphise irréprochable et nettement confortable à l'écoute.

BB