Chroniques

par laurent bergnach

Les sacrifiées
opéra de Thierry Pécou

Maison de la musique, Nanterre
- 11 janvier 2008
à Nanterre, création mondiale de l’opéra de Thierry Pécou : Les sacrifiées
© enrico bartolucci | arcal

Avec les fragments Image des Sacrifiées (en octobre) et Chants des Sacrifiées (décembre), l’Ensemble TM+ a préparé les Nanterrois à la création de l’opéra de Thierry Pécou. De même, le 8 janvier dernier, les auditeurs de Radio Classique ont pu entendre quelques propos inédits du compositeur, confiant notamment que ce genre musical n’a d’intérêt que s’il traite de l’actualité brûlante - avec une prise de distance, cependant.

Prodigues en souffrances, ce sont quatre décennies de l’Algérie qui sont évoquées, à travers le portrait de trois femmes. Dans les années soixante, alors que s’efface la démocratie traditionnelle (la Djemâa), l’armée française débarque, demandant à chacun de choisir son camp. Raïssa, maudite par une mise au monde qui condamna sa mère, est arrêtée pour résistance et violée durant de longues semaines. Dans les années quatre-vingt dix, Saïda paie cruellement son insolence face à un quartier soumis à l’ordre religieux. Fille de la première, mère adoptive de la seconde, Leïla fait le lien entre ces deux périodes. Un sujet en or, au traitement malheureusement assez décevant.

Avec quatre volumes identiques et un escalier amovibles, Christian Gangneron crée les multiples espaces nécessaires à l’histoire (prison, ruelles, cage d’escalier, etc.), dans lesquels évoluent les héroïnes étouffées successivement par une troupe de soldats, des villageois hostiles, une jeunesse sans travail. Mêlant chanteurs et comédiens, ces différents groupes forment le chœur du livret adapté de sa propre pièce par Laurent Gaudé, lequel a choisi l’archétype plutôt que la psychologie. Mais ce choix de l’artifice, défendu par une langue fort exsangue, peine à susciter l’émotion. La complaisance à souligner le viol (montré, décrit puis raconté à nouveau), les clichés d’appelés paillards ou d’islamistes en survêtement, les harangues populaires jouant sur la répétition comme un exorcisme, ont également raison de notre patience.

Musicalement, l’expression des trois protagonistes cultive l’ambiguïté entre chant populaire et lyrique – Pécou s’est inspiré d’Oum Kalsoum et d’Houria Aïchi -, un mode à quarts de tons et l’esprit d’ornementation. Explorant de nombreuses tessitures, la partition se déploie avec le colorature Sevan Manoukian (jeune Raïssa au timbre qui s’arrondit pour livrer une Saïda plus convaincante), le mezzo Sylvia Vadimova, l’alto Jacqueline Mayeur incarnant une Raïssa vieillissante avec des graves très charnus, le baryton-basse Benoît Arnould, alliant clarté, diction et vaillance. Sous la direction de Laurent Cuniot, les musiciens donnent sans s’appesantir sa couleur orientale au spectacle (hautbois, bendir, etc.). Instrument populaire par excellence, l’accordéon a pour rôle de lier les huit autres, selon la volonté du compositeur.

LB