Chroniques

par irma foletti

les quarante ans du ROF : gala d’anniversaire
Carlo Rizzi dirige l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI

Alaimo, Bordogna, Brownlee, Flórez, Gatin, Goryachova, Meade, Pertusi, Vassallo
Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 21 août 2019
soirée de gala du quarantième anniversaire du Rossini Opera Festival
© studio amati bacciardi

Affiché complet et attendu par une salle acquise d’avance à la cause rossinienne, le concert marquant le quarantième anniversaire du Rossini Opera Festival (ROF) déçoit toutefois certains amateurs. Intitulé Gala XL, en clin d’œil aux quarante bougies de la manifestation, la soirée s’est révélée peu festive – à vrai dire assez loin d’atteindre le format XL, ni en quantité ni en qualité. Au delà de l’annulation pour indisposition du ténor de Sergueï Romanovsky, de nombreuses questions semblent légitimes à propos des extraits sélectionnés, des artistes invités, ainsi que du déroulé de la soirée.

Consacrée à l’opéra buffa du natif de Pesaro, la première partie fait la part belle au Barbiere di Siviglia, à La cenerentola et L’Italiana in Algeri, trois titres qui, au contraire de nombreux autres, n’ont pas vraiment eu besoin du ROF pour être régulièrement proposés dans les théâtres. La seconde partie, tournée vers l’opéra seria, met deux œuvres à l’affiche, dont Guillaume Tell, opus que le festival n’a pas non plus spécialement tiré de l’oubli. Un seul opéra de la fabuleuse production de la période napolitaine de Rossini – cœur de l’action du ROF dans les années 1980 et 1990 – est donc proposé. Il s’agit d’Ermione, dont subsiste un des deux airs initialement prévus, la manifestation n’ayant pu trouver en dernière heure un ténor pour remplacer Romanovsky dans Balena in man del figlio. Dommage, aucun baritenore sur scène, ce soir ! Essa corre al trionfo, la très longue et difficile scène de l’ouvrage, est interprétée avec panache par le soprano américain Angela Meade, adaptant ses généreux moyens aux douces sections qui enchaînent avec des passages beaucoup plus agités où la voix projette puissamment. Le timbre n’est pas toujours d’une constante séduction, certaines terminaisons dans les notes les plus aiguës sont agrémentées d’un très bref petit cri, mais la prestation d’ensemble est enthousiasmante, saluée par un tonnerre d’applaudissements [lire notre chronique de son récital du 17 août 2019].

Ruzil Gatin remplace toutefois le chanteur absent, en première partie, dans le duo du Viaggio a Reims entre Melibea et Libenskof, Di che son reo?, où il donne la réplique à Anna Goryachova. On apprécie davantage la richesse du timbre que la technique belcantiste chez le mezzo, ce qui est plutôt l’inverse en ce qui concerne le ténor. Certes on affectionne cet extrait, mais la qualité ne s’avère pas supérieure à ce que l’on entendait la veille dans le traditionnel Viaggio a Reims interprété par les jeunes chanteurs de l’Accademia Rossiniana. Précédemment, l’Ouverture du Barbiere di Siviglia était pleine de couleurs et de dynamique, joyeuse mais jamais bruyante, conduite par Carlo Rizzi aux commandes de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI. Fallait-il, en revanche, inviter le baryton Franco Vassallo pour le célèbre Largo al factotum de Figaro ? Alors qu’il ne s’est jamais produit ici jusqu’à présent, à notre connaissance, et qu’il est plus souvent distribué dans le répertoire verdien, l’artiste – qui a besoin de la partition pour cet air parmi les plus connus ! – tente de rattraper par des aigus surpuissants un registre médium moins élégant et des graves encore plus discrets. On craint plus tard pour Sois immobile (Guillaume Tell), mais l’interprétation est plus que correcte, sans toutefois présenter l’ampleur ni la densité d’un Nicola Alaimo. Ce dernier fait une démonstration d’aisance et de naturel, par la voix, le geste et le regard, en Don Magnifico, avec Sia qualunque delle figlie (La cenerentola), particulièrement brillant dans le chant sillabato. Son collègue baryton Paolo Bordogna, très digne en Bartolo dans A un dottor della mia sorte, n’atteint ni le même naturel ni la même projection, même s’il s’efforce de donner constamment l’impression d’une certaine joie de chanter.

Lawrence Brownlee est le premier ténor à intervenir au cours de la soirée, dans l’air étourdissant du comte Almaviva, Cessa di più resistere. Il recueille les applaudissements les plus nourris et sonores de la soirée. Peut-être est-ce un effet collatéral de la faiblesse des ténors entendus cette année, dans les trois opéras à l’affiche, mais toujours est-il que le concert décolle à ce moment-là : traits d’agilité bien détachés, élégance dans la section lente centrale, son homogène sur toute l’étendue de la tessiture, voilà un artiste qui chante Rossini partout dans le monde mais vient trop rarement au ROF. Largement plus médiatisé que son confrère, Juan Diego Flórez se montre à la hauteur de sa réputation, d’abord en Ramiro de La cenerentola, avec l’un air Si, ritrovarla io giuro très véloce et délié, un squillo sur les notes aigües qui s’est amplifié ces dernières années, et une technique toujours au sommet malgré l’élargissement de son répertoire à quelques emplois dans Verdi et Massenet. Après l’entracte, le duo entre Guillaume et Arnold, Où vas-tu ? Quel transport t’agite ?, chanté avec Michele Pertusi d’une voix pleine d’humanité, est aussi un grand moment, tout comme l’air du quatrième acte, Asile héréditaire, dans un français impeccablement idiomatique.

La première partie s’achève sur Pria di dividerci, Signore, le final de l’Acte I de L’Italiana in Algeri duquel on ne goûte pas forcément toute la drôlerie dans cette immense salle. Le final de Guillaume Tell conclut la seconde, qui cette fois remplit l’espace de toute sa magnificence, somptueux extrait mais plutôt court. Aucun bis n’est prévu, le chef montant rapidement sur scène et les spectateurs fuyant aussi vite la salle pour regagner le centre-ville. Le mélomane reste sur sa faim. On aurait pu également inviter, pas forcément pour pousser la note, certains artistes ayant fait la très grande histoire du Rossini Opera Festival – la liste est longue, entre June Anderson, Daniela Barcellona, Rockwell Blake, Lella Cuberli, Cecilia Gasdia, Marilyn Horne, Chris Merritt, Samuel Ramey… ou encore projeter quelques photos ou vidéos, donner la parole à l’un des créateurs du ROF, Gianfranco Mariotti, aujourd’hui Président Honoraire. Espérons que ces occasions se représenteront lors du Gala L du cinquantenaire.

IF