Chroniques

par françois cavaillès

Les pêcheurs de perles
opéra de Georges Bizet

The Metropolitan Opera HD Live / Gaumont Capucines, Paris
- 16 janvier 2016
Diana Damrau en Leila des Pêcheurs de perles (Bizet) au Met' (New York, 2016)
© ken howard | metropolitan opera

« De pêcheurs, il n’est pas vraiment question, et de perles encore moins, au point qu’un critique se demanda, au lendemain de la création : “pourquoi cet ouvrage se nomme-t-il Les pêcheurs de perles ? Est-ce parce qu’il exige des interprètes des organes respiratoires à toute épreuve ? Mais, à ce compte, Tannhäuser, avec sa trop célèbre mélodie continue, avait des droits imperceptibles à la primeur de ce titre !” Et le sarcastique critique du Figaro écrivit, lui : “récompense honnête à qui pourra m’expliquer le sujet des Pêcheurs de perles. »

Ce savoureux extrait de l’instructif petit Georges Bizet de Jérôme Bastianelli, sorti à l’automne dernier dans la collection Classica des éditions Actes Sud, exprime bien l’effet de confusion laissé par le premier opéra de plus de deux actes (il en comporte trois, en fait) composé par le tout jeune Bizet, pour une création en 1863 au Théâtre-Lyrique (Paris).

La nouvelle production du Met’ (New York), telle que retransmise dans les salles de cinéma en ce début d’année, cède à la tentation de la surenchère exotique, à grands renforts de saris couleur safran, de sarongs, de pierreries, de coiffes orientales, de colliers à fleurs, etc. Le grand déploiement n’est filmé qu’en plans très serrés pendant l’essentiel du premier acte, pour une présentation tape-à-l’œil traversée de quelques bizarreries, à savoir surtout les costumes et les coiffures contemporains de Zurga et Nadir, alors perçus comme complètement étrangers à leur village sur pilotis.

Sans trop déformer l’intrigue basique et claire autour des quatre personnages fort typés, la mise en scène, signée Penny Woolcock, déconcerte, dirigeant le drame sans originalité, dans une mascarade un peu étrange. Elle a ensuite le mérite de dérouter un peu, animée surtout pour le grand tableau de la fin de l’Acte II, jusqu’à l’impasse créative, évoquant en vidéo numérique le tsunami et transformant la tente de Zurga en un bureau actuel, mais jauni, de mégapole indienne, lors du début du III. Les maigres jeux de scène sont beaucoup trop appuyés – l’accolade pudibonde et figée du fameux duo amical initial, notamment, ou toutes les manières du soprano vedette dans le rôle de Leila –, tandis que paraît vite absurde l’abus de Namasté (salutations traditionnelles indiennes, les mains jointes, ou Wai en Asie du Sud-Est).

La théâtralité chère à Bizet et le soin apporté aux airs souffrent dans cette impression générale de baudruche sons et lumières. Massif, le chœur « maison » impressionne de puissance et de savoir-faire, certes, ainsi dans les appels à Brahma. Mais du MET Orchestra dirigé par Gianandrea Noseda, les cordes très valorisées évoquent un peu, forcément, un poids lourd commercial typique des grandes salles de cinéma, et même certains thèmes de John Williams.

Sur scène, le ténor Matthew Polenzani (Nadir) se distingue le plus, en particulier dans la romance, douce et solitaire, au bord de l'onde (Je crois entendre encore). Le baryton Mariusz Kwiecień compose un Zurga convaincant, même si son geste sacrificiel final, spectaculaire et bouleversant, semble jouer sur le même ton de vilain adopté sans relâche tout au fil de l'opéra. Enfin, Diana Damrau parvient de quelques belles vocalises à percer d'humanité une Leila qui paraît un peu engourdie, superficielle et alourdie de féminisme.

FC