Chroniques

par jorge pacheco

les cuivres du Philhar’ s’exposent
Madetoja, Merikanto, Panula et Sibelius

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 14 février 2012
Le Lac Keitele peint en 1905 par Akseli Gallen-Kallela
© dr

À l'occasion de l'exposition consacrée à l'œuvre du peintre et graveur finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) [photo : Lac Keitele, 1905], le Musée d'Orsay organise le cycle La Finlande au temps de Sibelius dont les six concerts font découvrir une importante partie de la production chambriste du maître nordique – certes moins connue que les œuvres symphoniques qui cimentèrent sa réputation, mais non moins inspirée –, ainsi que celle de certains de ses contemporains comme Oskar Merikanto (1868-1942), Leevi Madetoja (1887-1947), Aarre Merikanto (1893-1958, le fils d'Oskar) et Jorma Panula (né en 1930). Que l'éloignement dans les dates de naissance ne nous induise pas en erreur : décédé à quatre-vingt-onze ans, Sibelius (1865-1957) fut le contemporain de chacun d'entre eux, ainsi que le témoin de la disparition du langage harmonique appris dans sa jeunesse, langage qu'il n'abandonna jamais, et de l'avènement d'une ère musicale nouvelle qu'il n'apprécia jamais.

Pour le deuxième concert du cycle [lire notre chronique du 9 févier 2012], cette dimension exceptionnelle du temps de Sibelius est bien reflétée dans un programme consacré exclusivement à des œuvres pour ensemble de cuivres écrites entre 1889 et 1935 par les compositeurs évoqués ci-dessus (hormis les mélodies populaires arrangées par Panula), et jouées dans un ordre qui suggère, en effet, une approche chronologique. Cependant, malgré des différences sensibles dans le rapport de chacune à la modernité, les pièces écoutées se révèlent aussi d'une grande affinité esthétique. Les formations uniquement constituées de cuivres étant principalement destinées à l’exécution de plein air, ces pages partagent un même caractère villageois, tributaire sans doute, quoique à différents degrés, du carélianisme (ou nationalisme romantique finlandais), courant dont Gallen-Kallela dans le domaine pictural et Sibelius dans la musique furent des grands précurseurs. Ainsi, nombreux sont les titres dans la production de ces musiciens à faire référence, comme l'œuvre de Gallen-Kallela, à l'épopée du Kalevala, long récit écrit au XIXe siècle par Elias Lönnrot sur la base de poésies populaires de la mythologie finnoise transmises oralement.

Le programme est exécuté par un septuor de cuivres (tuba, baryton, euphonium, tenor horn, deux cornets en si bémol et un cornet soprano en mi bémol) formé par des musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, occasionnellement accompagnés par un percussionniste (jouant notamment la grande caisse et le triangle). De la sorte, ce concert prend la forme d'un rendez-vous en toute intimité avec la section de l'orchestre qui fait le plus souvent l'objet d'abondantes critiques (souvent injustifiées) lors des concerts symphoniques par leur disposition naturelle à l'héroïsme sonore, à la bravoure dynamique, à l'extase harmonique, causes d'une incompréhension généralisée. Certaines maisons d'opéra en sont même arrivées à placer dans leurs fosses, entre eux et le reste des musiciens, des panneaux insonorisant pour alléger l'impact de leurs « barrissements » sur les tympans des autres instrumentistes – une mesure discriminatoire qui, s'ils en étaient les victimes, heurterait sans doute davantage la susceptibilité d'autres officiants plus hautains de la famille symphonique.

Et voilà que, malgré un début quelque peu hésitant où précision et justesse dans l'attaque ne s’affirment, ces excellents musiciens démontrent, une fois réchauffés, que le plus doux pianissimo, le plus bel accord, le meilleur équilibre, ne sont pas l'attribution exclusive des cordes et des bois, et qu'ils peuvent eux aussi – les cuivres, les cornets, les tubas, ceux du fond – émettre des sons tout aussi délicats et raffinés. Ainsi une grande douceur caractérise-t-elle l’interprétation de Vallinkorvan laulu d'Oskar Merikanto, partition imprégnée d'esprit nordique dans sa ligne mélodique au caractère de chant populaire, accompagnée par des harmonies qui prennent par moment des couleurs debussystes. De la même manière, l'exécution de Tiera de Sibelius, œuvre qui accuse sans doute une influence wagnérienne, se caractérise par une homogénéité et un équilibre remarquable des différents timbres dans le registre mystérieux et profond de l'introduction, qui devient ensuite exaltation héroïque, évocatrice du personnage mythologique. La palette sonore des virtuoses change complètement de registre pour aborder Sävelmä ja peijaislaulu d'Aarre Merikanto où des chevauchées rythmiques à l'esprit bartókien sont jouées avec fougue et précision.

Gilles Mercier, qui joue la partie de cornet en mi bémol, prend la parole pour introduire chacun des opus et en expliquer les principales caractéristiques. Cependant, Mercier ne se limite pas à la simple contextualisation historique : de manière naturelle et lucide, il aborde ses propres impressions en tant qu'artiste face à ce répertoire. Au fur et à mesure des exécutions, nous sommes de plus en plus familiarisés avec les huit interprètes, guidés aussi par l'esprit vif et ludique de Bruno Nouvion, le premier cornet en si bémol, qui imprègne de sa personnalité chacun de ses traits. Impossible, donc, à la fin du concert, de ne pas avoir en estime ces musiciens et de ne pas s'attendrir en les voyant sacrifier aux rites propres à leur instrument (comme souffler bruyamment dans le tube afin de le réchauffer, ou libérer l'instrument de la buée qu’il accumule à l’intérieur en agitant le pavillon vers le bas).

Une belle occasion de se réconcilier avec la grande famille des cuivres, dans le contexte d'une excellente exposition consacrée au nationalisme romantique finlandais d'Akseli Gallen-Kallela.

JP