Chroniques

par laurent douel

les créations de Cursus 1
Bianchi, Eslava, Lin, Sannicandro et Torrès

Ircam, Paris
- 4 octobre 2004

Comme chaque année les jeunes compositeurs qui suivent le cursus de formation de l’Ircam présentent leur œuvre, finalisation de leur projet. La salle est pleine, le public très divers avec une forte proportion de trentenaires. Après un petit discours de présentation, le concert s’ouvert sur un dispositif scénique maintenant « classique », mélange d’instruments à percussions, de pieds de micros et de haut-parleurs. L’ensemble des pièces présentées travaille sur l’interaction entre sons acoustiques (produits pas des instruments réels) et sons électroniques préfabriqués ou générés en direct.

La première pièce, Multiplication virtuelle de Mei-Fang Lin (née à Taiwan), prend pour base le déclenchement de sons ou d’effets électroniques par le jeu du percussionniste. La pièce est de forme additionnelle, le musicien passant successivement d’un dispositif à l’autre : grosse caisse, caisse claire, wood block, vibraphone, glockenspiel, tam suspendu avec corde au travers. Malgré la virtuosité du musicien et des moments assez intenses, on regrettera plusieurs péchés de jeunesse : la balance entre les sons acoustiques et les sons électroniques s’avère défavorable aux premiers, créant un déséquilibre qui nuit à l’unité de la pièce. Le choix des sons électroniques se révèle assez banal. Le passage systématique d’un instrument à l’autre, sans aucun mélange ni retour, manque de surprise.

La deuxième pièce, El umbral de una linea II de Juan José Eslava (né en 1970) s’appuie sur un texte de présentation assez savant, mais le résultat sonore déçoit quelque peu. Il semble regrettable que le duo de musiciens (clarinette basse, grosse caisse) soit aussi peu visuel, chaque musicien étant replié sur lui-même ; pas d’échanges entre eux, ni avec le public. Cette pièce donne l’impression pénible que la musique n’aurait pas encore été inventée et qu’une succession de sons divers s’échapperaient sans réelle direction des instruments. L’intérêt remonte un instant lors du démontage de la clarinette basse, mais le musicien ne tire de cette demie clarinette que des bruits de souffle somme toute assez convenus – de fait, l’effet paraît un peu gratuit.

La musique est de retour avec Duo concertante II de Laurent Torrès (né à Paris en 1975). L’attitude des musiciens contraste agréablement avec le duo précédant : sourires, connivence visuelle, échanges. La pièce en elle-même ressort d’une écriture assez attendue dans les modes de jeu du violon ou du violoncelle (Alexis Descharmes) ; pas d’effets ni d’esbroufe mais de beaux moments dynamiques et sensibles. On déplorera toutefois la relative pauvreté de la bande-son, limitée à un fond d’accompagnement.

Le choix des sons et l’équilibre entre l’acoustique et l’électronique sont importants ; c’est une dimension qui est encore souvent négligée, de même que le rapport au public. C’est donc après l’entracte que les vraies bonnes surprises commencent. Avec, tout d’abord, Crepuscolo d’Oscar Bianchi (né en 1975 à Milan, italo-suisse), pièce saisissante, visuellement et auditivement. Après une introduction dans le noir, on découvre un homme (Antonio Politano) assis derrière une sorte d’excroissance de bois, tuyau d’orgue carré qui le cache en partie. La flûte à bec de Paetzold est un instrument éléphantesque, truculent, gémissant, grinçant. Le son original se trouve repris en boucles longues, modifié, spatialisé, filtré. Le tout donne un déluge sonore stupéfiant, baroque et assez rabelaisien par le visuel, le flûtiste faisant corps avec son instrument en donnant l’impression de le dévorer, de l’étreindre compulsivement. Crepuscolo bénéficie d’un vif succès.

La dernière œuvre de la soirée reste la plus aboutie.Aliae naturae de Valerio Sannicandro (né en 1971) oppose scéniquement une machine étrange au premier plan et une charmante violoniste, surélevée à l’arrière. La facture est sensible, d’une grande musicalité. Le violon et les sons électroniques se fondent parfaitement, jusqu’à créer un nouvel instrument. L’électronique réagit en temps réel aux notes et au jeu de la soliste, sans rupture. Cette pièce montre à quel point l’usage de sons ou de dispositifs électroniques peut être générateur de sensations musicales profondes et subtiles.

LD