Chroniques

par laurent bergnach

L'enfant et les sortilèges
opéra Maurice Ravel

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 27 juin 2009
L'enfant et les sortilèges (Ravel) photographié à Bastille par Mirco Magliocca
© opéra national de paris | mirco magliocca

Depuis début 2005, l'Opéra national de Paris offre à de jeunes chanteurs ainsi qu'à des pianistes-chefs de chant en début de carrière l'occasion de rencontrer le public. Approfondir ses connaissances musicales, réfléchir sur une partition, comprendre les enjeux dramatiques d'un ouvrage sont les enjeux d'un cursus de deux années dont le but est de « former des personnalités capables de défendre la force des œuvres et de transmettre leur modernité à un public d'aujourd'hui » (selon Christian Schirm, directeur de l'Atelier lyrique), un programme qui permit déjà la réalisation de certains spectacles, tels Les aveugles [lire notre chronique du 20 juin 2006] et The Rape of Lucretia [lire notre chronique du 27 juin 2007].

En prélude à L'Enfant et les sortilèges donné ce soir, Aimery Lefèvre et le pianiste Arnaud Arbet proposent Histoires naturelles, cycle de cinq mélodies inspiré par des textes de Jules Renard. Dans son Journal (12 janvier 1907, date de la première audition, salle Érard), ce dernier rapporte les mots de Maurice Ravel sur la volonté d'interprétation qui motive le projet : « Dire avec de la musique ce que vous dîtes avec des mots quand vous êtes devant un arbre, par exemple. Je pense et je sens en musique et je voudrais penser et sentir les mêmes choses que vous ».

Élève de Roman Trekel et de François Le Roux lors de master classes, habitué à défendre la musique baroque, nous avions repéré Aimery Lefèvre à l'Opéra de Tours dans Britten [lire notre chronique du 11 février 2007]. D'un chant d'abord serré et emprunté (Le paon), l'artiste apporte souplesse et legato sur la suite (Le grillon, Le cygne), l'immobilité presque totale du Martin-pêcheur offrant un bel équilibre dans l'élégance. Si quelques chuintements viennent perturber la diction alerte du baryton (La pintade), son timbre sombre et profond séduit toujours autant.

Alors que Renard se désintéresse de la mise en musique de son travail littéraire, Colette s'enthousiasme de collaborer avec Ravel sur cette « petite histoire morale » en forme de « ballet pour ma fille » qu'est L'Enfant et les sortilèges – « Imaginez tout ce que peut dire de la forêt un écureuil, et ce que ça peut donner en musique ! » avance le compositeur ; « Qu'une terrifiante rafale de music-hall évente la poussière de l'Opéra ! » réplique-t-elle. Mais Ravel fatigue et le temps paraît bien long à l'écrivaine entre leurs échanges de 1919 et la création monégasque du 21 mars 1925.

Dans une chambre en plan incliné cernée par la neige, Jean Liermier met en scène une ennuyeuse journée de révision scolaire qui se transforme en passionnante aventure initiatique. Pour tenir les cadets en éveil, on pourra lui reprocher l'érotisation surprenante du spectacle (bec de Théière phallique, Feu retirant son bas) mais pas de savoir rendre les chanteurs méconnaissables d'un rôle à l'autre, ni de négliger leurs nombreuses possibilités d'apparition (cheminée, fenêtre, pupitre, etc.). Cette nouvelle production adopte la réduction bien connue de Didier Puntos – piano à quatre mains (Ruta Lenciauskaité et Ugo Mahieux), flûte (Julie Gacser) et violoncelle (Sébastien Renaud) – dont la délicatesse permet d'apprécier le chant d'une douzaine de jeunes talents (en particulier sur la délicate scène des Pastoureaux).

Présente dans nombre de représentations parisiennes récentes (Louise, Luisa Miller, La petite renarde rusée, etc.), Elisa Cenni incarne l'Enfant avec stabilité et clarté, face au mezzo Aude Extrémo, Maman d'une douce autorité et Libellule à la projection soignée. Andrea Hill (Bergère, Chatte, Écureuil) se révèle brillante et fiable, de même que Claudia Galli (Princesse) au timbre un rien métallique. Julie Mathevet apporte au Feu présence, nuance et… chaleur. Dans le double rôle de l'Horloge et du Chat, Vladimir Kapshuk use avec aisance et légèreté de son baryton. Manuel Nuñez Camelino (Théière) et Ugo Rabec (Arbre) s'affirment très sonores. Maria Virginia Savastano (Chauve-souris) et Vincent Delhoume (Rainette) complètent agréablement cette distribution homogène.

LB