Chroniques

par gilles charlassier

Le médecin malgré lui
opéra-comique de Charles Gounod

Opéra des Nations / Grand Théâtre (saison hors les murs), Genève
- 4 avril 2016
à Genève, Laurent Pelly met en scène Le médecin malgré lui, opéra de Gounod
© gtg | carole parodi

Après une ouverture iconoclaste avec Alcina cet hiver [lire notre chronique du 15 février 2016], l'intérimaire Opéra des Nations, où le Grand-Théâtre de Genève s'installe pendant les travaux, continue de tirer profit de ses conditions particulières de production pour explorer une partie du répertoire généralement marginale dans la programmation de l'institution suisse. C'est ainsi qu'est mis à l'affiche une œuvre méconnue de Gounod, Le médecin malgré lui, directement inspirée de la farce de Molière. La présente saison lui a donné un regain d'éclairage à travers une version parfois condensée présentée par Saint-Étienne en octobre dernier, mais c'est bien la mise en scène de Laurent Pelly qui concentre les attentes.

Éminemment théâtral, l'ouvrage reprend d'ailleurs textuellement les répliques de la pièce du Grand Siècle. Le travail des planches donne tout son relief à cette charmante partition, qui n'hésite pas à jouer de pastiches et d'archaïsmes [lire nos chroniques du 13 février 2005 et du 3 octobre 2009]. Si le premier acte souffre un peu de longueurs et de scènes de genre, les deux autres ne ménagent aucun temps mort et la vitalité du jeu d'acteurs imprime un rythme qui rend superflues les coupures – à peine quelques aménagements ici où là que l'amateur ne repérera guère.

Dans un intérieur délimité, à vue d'œil, par des matelas usagés et des canapés au bon goût un peu fatigué peut-être – on ne redira jamais assez l'habileté inspirée de la décoratrice Chantal Thomas – Franck Leguérinel détaille avec gourmandise la bourgeoise satisfaction de Géronte : le métier d'un chanteur qui a plus d'une fois collaboré avec Laurent Pelly s'entend dans la maîtrise des effets de diction. En Léandre, Stanislas de Barbeyrac se met à l'école du faux médecin comme d'un savoir-faire dramatique où le comique se mêle au sentimental. La justesse du texte complète l'éclat d'une voix qui ne se contente pas des facilités lyriques où son timbre pourrait le limiter. On ne peut que saluer cette fructueuse prise de risque [lire nos chroniques du 8 septembre 2011 et du 22 mai 2015]. On soulignera bien sûr la performance de Boris Grappe, en particulier au regard de l'endurance de près de deux heures sans entracte, et presque sans interruption, pour un Sganarelle au fait de la déclamation comme de ses moyens.

On ne manquera pas d'apprécier le reste de la distribution, à l'exemple de la Lucinde faussement mutique et à la fraîcheur véritable de Clémence Tilquin, tandis que l'émérite Doris Lamprecht livre un numéro irrésistible en Jacqueline. Membre de la Troupe des jeunes solistes en résidence, Ahlima Mhamdi distille une Martine piquante, quand l'effectif du chœur fournit les interventions parfois un rien accusées de Lucas, Valère et Monsieur Robert, respectivement dévolus à José Pazos, Nicolas Carré et Romaric Braun. Préparés par Alan Woodbridge, les ensembles résonnent avec une précision exemplaire.

À la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande, Sébastien Rouland participe de la réussite d'un spectacle qui n'a pas besoin de la bénédiction de la transposition contemporaine – les costumes dessinés par le metteur en scène avec Jean-Jacques Delmotte traduisent avant tout l'actualité intemporelle de la comédie – pour démontrer son acuité divertissante.

GC