Chroniques

par jérémie szpirglas

leçon 2, savoir s'entourer

Musicales de Colmar / Théâtre Municipal
- 15 mai 2010

Le talent d'un musicien ne réside pas uniquement dans sa virtuosité, aussi époustouflante soit-elle, ni dans sa sensibilité, quand bien même serait-elle d'une justesse à fleur de peau. Il est aussi dans les liens qu'il tisse avec d'autres artistes, particulièrement quand il s'adonne à la musique de chambre. Les Musicales de Colmar sont le lieu idéal pour assister à la magie impalpable de ces alchimies merveilleuses. Fleuron de ce genre si particulier et si délectable de manifestations que sont les festivals de musicien, celui-ci est pour son directeur, Marc Coppey, l'occasion d'inviter ses amis, avec lesquels la complicité est déjà bien établie, mais aussi de tenter, plus ou moins heureusement, quelques expériences avec d'autres, histoire d'élargir son cercle et son horizon.

Parmi les amis régulièrement invités ici, on retrouve, ce samedi, le magnifique clarinettiste Romain Guyot qui, par son intelligence et son esprit fantaisiste soigneusement dosé, peut dans une même journée nous réconcilier avec ce tube mille fois ressassé qu'est le Quintette avec clarinette K581 de Mozart – le Quatuor Atrium qui l'accompagne est tellement sous le charme qu'il en oublierait presque de s'affirmer – et nous faire, avec Marc Coppey et Aleksandar Madzar, découvrir une page rare, mais non sans intérêt, le Trio avec clarinette Op.40 de Carl Frühling (1868-1937) – dont le troisième mouvement se révèle d'une saveur mélodique et harmonique inattendus… Il y a aussi l'impayable contrebassiste Niek de Groot, qui assaisonne ses Truites d'un sourire toujours bonhomme et chaleureux, mais qui peut aussi faire montre – dans une page délaissée comme le Quatuor avec contrebasse de Franz Hoffmeister (1754-1812, ami et éditeur occasionnel de Mozart) – d'une virtuosité hallucinante, digne d'un Paganini de la contrebasse. Il y a encore la jeune violoniste Liana Gourdja, hallucinante de talent et d'ardeur, qu'on appréciera toujours dans le Trio avec piano Op.87 n°2 de Brahms – avec Coppey, elle forme un duo harmonieux qui fait passer le piano de Jeremy Menuhin au second plan –, ou le pianiste Aleksandar Madzar, musicante tout en finesse dont le tact et la réserve toujours expressive n'en finissent pas d'étonner.

Parmi les visiteurs occasionnels, si on passera rapidement sur le violoniste Sasha Rozhdenstvensky, peu en forme dans Quintette D667 « La Truite » de Schubert, ainsi que sur Alexander Melnikov, pianiste sans grande grâce, ou sur Antonio Meneses, violoncelliste cabotin et ennuyeux, on constate que Marc Coppey eut la main heureuse dans son choix d'altistes. La Roumaine Silvia Simionescu, mais surtout le Russe Maxim Rysanov, font montre d'une maîtrise technique - la technique d'archet de Rysanov est un éblouissement toujours renouvelé – et d'une chaleur expressive rares.

Savoir s'entourer est un des aspects les plus délicats des métiers de musicien et de directeur artistique ; comme on ne peut décemment lui en vouloir de ne pas voir juste à tous les coups, il faut saluer le travail de Marc Coppey. D'autant que, ici comme ailleurs, tout est affaire de goût… des autres.

JS