Chroniques

par françois cavaillès

Laurence Equilbey joue Saint François d’Assise de Gounod
Accentus et l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

Opéra de Rouen Normandie
- 16 mars 2018
Laurence Equilbey joue Saint François d’Assise de Charles Gounod
© francisco de zurbarán

Voici une nouvelle, brillante expérience de réverbération à Rouen [lire notre chronique de l’avant-veille] et, de fait, une soirée exceptionnelle, alors que l'oratorio Saint François d'Assise et la méditation religieuse Hymne à Sainte-Cécile, deux raretés de l'illustre Charles Gounod, sont interprétés par les artistes principaux – la cheffe Laurence Equilbey et le chœur Accentus – qui les ont déjà données sur une scène parisienne en 2016 lors d'un concert enregistré grâce à une coproduction du Festival d'Auvers-sur-Oise et du Palazzetto Bru Zane. Un excellent disque, historique, vient donc de paraître au début du mois et, devant l'assistance du Théâtre des Arts presque plein, le récit légendaire de reprendre, non trop délayé mais plutôt à redécouvrir, encore et encore, tant l'art en paraît maîtrisé.

Sous-jacente à la recréation, l'histoire singulière du seul manuscrit original resté endormi durant plus d'un siècle chez les Sœurs de la Charité de Saint-Louis est de nouveau contée, juste avant les toutes premières notes, par le directeur et fondateur du festival précité, Pascal Escande, auteur du « bouleversant » premier déchiffrage de la partition. Ainsi le travail aide-t-il la chance, pour que tout recommence.

De ce court diptyque inspiré des dernières heures de Saint François d'Assise (ca.1181-1226), le bref prélude au lyrisme grave et moderne est déjà très évocateur d'une foi imagée. Le petit cantique instrumental entonné par l'orgue, en étrange contraste avec les violons en arrière-plan, séduit avant que le ténor léger d'Abdellah Lasri ouvre avec prudence le récit du saint dans sa cellule. Le chant semble ensuite ampoulé sur la même mélodie du cantique amplifiée (l'air Agneau de Dieu, sainte victime), l'orchestre maison paraît un peu lourd et la voix comme imposée dans une poésie française vieillotte (écrite par Gounod avec l'aide de son ami l'abbé poitevin Charles Gay).

Le propos et le plaisir vocal se montrent plus généreux quand s'amorce, par une sombre et belle transition mélodique, le fervent dialogue avec le Crucifix, aimante figure animée avec application par la basse légère de Virgile Ancely. Gounod vise ici « la traduction musicale du très beau tableau de Murillo représentant le Crucifié qui se penche vers Saint François et lui passe les bras autour du cou ».

« Je t'adore... Et me tais ! ».
Sur ces derniers mots de la première partie de l'oratorio, la langue chantée se perd hélas en mièvrerie, mais d'un moment de silence naît l'Andante offert en mâne spirituelle. Le miracle d'amour exprimé par les cordes illustre de manière envoûtante l'extase de Saint François, ponctué de manière lente et très soignée. Étreinte prématurée, prière silencieuse envolée, qui se poursuivra d'ailleurs, comme un disque rayé, pour seul et unique bis, cette fois galvanisée et langoureuse, presque érotique et joliment expirée.

Au second tableau, ouvert par un long prélude encore plus digne d'un opéra, à sa savante manière de représenter une geôle, voici venir la mort, en effet. Le ténor gagne en allant et en panache pour défendre une poésie épurée et assez dramatique :

« Mes enfants !... L'heure approche... Au séjour des élus, / Je vais donc voir, enfin, le doux Sauveur, Jésus ! ». Avec l'orchestre en une conformité musicale attentive, riche et pleine, son ultime élan vers l'expiration est déchirant, tandis qu’Accentus, jusque-là entre deux eaux, devient proprement angélique pour appeler le héros à entrer « dans la paix des élus » Le meilleur demeure en la toute fin, dans une ambiance fantastique de rêverie et de compassion.

Auparavant, l’Hymne à Sainte Cécile, au lyrisme immédiat, à la fois doux et dynamique, aura beaucoup moins marqué les esprits. Dans un rythme lent de musiciens bonhommes, les sinuosités du violon solo insignifiant haut perché dans l'aigu aboutissent, après quelques petites variations, à une impression de béatitude absurde.

Sans tant de suavité romantique française, quel meilleur hommage poétique que la Légende de Sainte-Cécile de Ferenc Liszt (Die heilige Cäcilia, 1874) ? Ce trésor lyrique en français contient de magnifiques pages, servies à merveille en concert grâce, tout d'abord, à Julie Boulianne. L'émouvant mezzo-soprano québécois a des accents dramatiques dignes de Strindberg pour distiller la remarquable poésie de Delphine de Girardin et sa violence admirablement ponctuée ou illustrée par l'orchestre de plus en plus expansif jusqu'au déchaînement final d'enfer incluant l'orgue. Grandiose Accentus, apothéose toute proche...

Cette grande œuvre plutôt méconnue de Liszt en accompagnait une autre en ce début de soirée, à savoir l'ultime et fabuleux poème symphonique Von der Wiege bis zum Grabe (Du berceau jusqu'à la tombe, 1881). Le vieux génie romantique hongrois semble touché par la grâce et ne perd absolument rien de sa superbe lorsqu'insufflée par la direction experte de Laurence Equilbey. À travers l'appétissant programme, et avec quel malin pouvoir de relais d'énergie, la soirée a tenu ses promesses.

FC