Chroniques

par françois cavaillès

laissez durer la nuit…
airs français du XVIIe Siècle

Anna Reinhold et Thomas Dunford
Festival de musique ancienne Avignon Vaucluse / Église Saint-Pierre
- 6 mars 2016
le tout jeune et excellent luthiste Thomas Dunford, en Avignon (mars 2016)
© dr

Dans l'envers de l'exceptionnel décor du Palais des Papes, sur une petite place, les regards sont attirés par la basilique Saint-Pierre d'Avignon dont depuis plus de trois ans une association entreprend, grâce à des appels au don1, de sauver le grand orgue, en péril bien que classé monument historique. Une petite foule y converge en belle curiosité et reste, durant une bonne heure et demie, prise au piège charmant du mezzo-soprano Anna Reinhold et du luthiste Thomas Dunford, jeune duo féru de musique ancienne et invité par le Festival de musique ancienne Avignon Vaucluse. Un concert bien conçu et bien préparé, voilà une possible clé de ce succès dominical !

Tout ce chemin musical commence comme englouti par un petit torrent d'eaux vives de mars, c'est-à-dire Ma bergère est tendre et fidèle de Michel Lambert (1610-1696), premier de ces airs de cour du temps de Louis XIV. La diction d'Anna Reinhold est déjà impressionnante, puis la fermeté et le tragique s'imposent dans le ton pour l'Entrée de Cybèle, extrait de l'opéra Atys de Lully (1632-1687). L'orchestre semble tapi sous les beaux vers de Quinault portés par la voix aérienne et adepte des métamorphoses.

Dans l'air Espoir si cher et si doux du même Atys, créé en 1676 [lire nos chroniques du 13 mai 2011 et du 11 août 2009], la cantatrice se montre encore plus expressive et presque pathétique, dans le lyrisme immatériel propre au spectacle d'un roi. Seul, magique, le luth de Thomas Dunford séduit avec deux préludes et une musette de Robert de Visée (1655-1733). Tout aussi remarquable s’avère son travail d'ornement de la chanson légèrement grivoise Auprès du feu, on fait l'amour de Lambert.

Pièce-titre du récital, Laissez durer la nuit de Sébastien Le Camus (1610-1677) invite alors, de manière fugitive, mélancolique et comme hors du temps, au romantisme. Le feu de l'hiver, méditatif, crépite ensuite avant d'exprimer une tristesse lancinante, dans la très applaudie Chaconne en la mineur de Visée. Pour clore une première partie fraîche et variée, la voix se déploie toute, peut-être à son meilleur, au plus près de la noble musique et de la poésie ancienne au verbe fort de Joseph Chabanceau de La Barre (1633-1678) – « quand une âme est bien atteinte... elle n'est jamais sans crainte, sans douleur et sans désir ».

En seconde partie, le voyage se poursuit dans une ambiance plus pesante, spirituelle et mélodieuse avec les Voix humaines de Marin Marais (1656-1728). Lully revient aux mémoires par Atys est trop heureux, puis une plainte italienne, avant une calme Sarabande de Robert de Visée. Puis Ombre de mon amant, superbe air d'agonie de Michel Lambert, plane sur l'assistance. « Rien ne peut arrêter mon âme fugitive / Je cède à mon cruel malheur » chante Anna Reinhold face au dénouement de son destin, comme mourante au champ de bataille, « sur cette fatale rive ». Mais – sublime enchaînement du programme ! – l'optimisme surgit dans sa voix, beaucoup plus entraînante et vivifiante, pour Le doux silence des bois d'Honoré d'Ambruys, secret d'amour et urgent appel de la vie (au printemps). Un ultime air de cour de Lambert conclut avec une intensité passionnée :

« Vos mépris chaque jour... me causent mille alarmes
mais je chéris mon sort, bien qu'il soit rigoureux.
Hélas ! si dans mes maux je trouve tant de charmes,
je mourrais de plaisir si j'étais plus heureux ».

Le chant est l'offrande à ce bonheur optimal, extatique, que souligne un vif solo de luth au milieu de mélodies sereines et d'ornements beaux comme un rêve de paix. En guise de rappels, le duo élargit la palette de ses talents. Come again, cantate de John Dowland (1563-1626), apporte un grand plaisir vocal ainsi qu'un souffle étrange et merveilleux aux derniers instants de la soirée. En tout dernier lieu, Aria di passacaglia, petite pièce espiègle de Frescobaldi expliquée avec générosité par Anna Reinhold (comme l'ensemble des œuvres présentées), rend visite à la nuit dans un joli volume du luth et un excellent chant italien qui s'achève sur ces bons mots : « non più parole, addio »...

FC

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