Chroniques

par gilles charlassier

La vestale, tragédie lyrique de Gaspare Spontini (version de concert)
Marina Rebeka, Stanislas de Barbeyrac, Tassis Christoyannis, etc.

Vlaams Radiokoor, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset
Festival Palazzetto Bru Zane / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 22 juin 2022
Christophe Rousset joue "LA VESTALE" de Spontini au Théâtre des Champs-Élysées
© éric larrayadieu

Cette version de concert de La vestale, tragédie lyrique de Spontini créée à Paris en 1807, dont le Palazzetto Bru Zane fait redécouvrir l’intégralité de la partition, dans le cadre de son festival parisien annuel, ne faillit pas, à une exception peut-être : la lisibilité du chant français, langue originale d’une œuvre symbole de l’ère napoléonienne, traduite en allemand pour Vienne en 1810 et en italien pour Naples l’année suivante, dans une mouture qui a été ressuscitée par Maria Callas au mitan du XXe siècle – avec des coupures que l’on attend ici réparées. Le rôle-titre de ce conflit entre l’amour et la chasteté du sacerdoce, inspiré au librettiste Étienne de Jouy par des textes de Winckelmann et une tragédie homonyme de Fontanelle, en un siècle où la fascination pour l’Antique s’enrichit des travaux archéologiques et philologiques – on le retrouve dans Norma de Bellini, l’antagonisme avec la Gaulle et le lieto finale en moins –, exerce depuis une fascination légitime sur les soprani, surtout s’ils sont versés dans le bel canto. Marina Rebeka est de ceux-ci, et la neuvième édition du festival répondit au désir qu’elle nourrissait depuis longtemps [lire nos chroniques de Guillaume Tell, Ariodante, Simon Boccanegra et I due Foscari]. Disons-le d’emblée, si sa Julia comblera les aficionados de la chanteuse lettone, par la beauté d’une ligne souple et aérée qui fait chatoyer les couleurs et les sentiments de la prêtresse sans jamais trahir la bienséance du chant, son incarnation, manquant peut-être de l’équilibre qu’assurerait une production scénique, ne fait guère contraster les ressources dramatiques d’un texte que les surtitres aident par bonheur à reconstituer.

Le reste du plateau est francophone, lui, et sans lacune dans la déclamation chantée. Poursuivant son évolution vers des rôles plus corsés, Stanislas de Barbeyrac peut surprendre par l’éclat mat de son Lucinius, avec une émission plus sombre et, parfois, discrètement rocailleuse, sans pour autant oublier de faire vivre avec intégrité les élans d’un personnage qui ne s’inscrira peut-être pas dans le répertoire du ténor français mais présente le mérite certain d’en accompagner l’enrichissement : c’est l’avantage d’un festival que de le permettre plus aisément [lire nos chroniques des Troqueurs, de Mirandolina, Salome, Tannhäuser, La traviata, Alceste, Le roi Arthus, Die Zauberflöte à Aix et à Genève, Le médecin malgré lui, Macbet, La Périchole, Les Indes galantes et Pelléas et Mélisande]. Tassis Christoyannis affirme la carrure de Cinna, avec son timbre nourri et identifiable [lire nos chroniques de La favorita, Andromaque, Faust, Macbet, Thésée, Cinq-Mars, Ali Baba, Le timbre d‘argent, Hémon et Frédégonde]. La vigueur de la projection se retrouve dans le Grand Pontife de Nicolas Courjal, dont l’autorité puissante ne se confond point avec quelque raideur. La noblesse de l’expression se conjugue avec celle de la sobriété. La Grande Vestale d’Aude Extrémo est la véritable révélation de la soirée. Son port altier, imprégné par la maturation d’une voix dense, au médium large et étoffé, soutenu par des graves bien définis, sans obérer la précision du haut d’une tessiture qui pourra assumer certains emplois de contralto, impose une présence irradiante, secondée par une authentique intelligence du texte [lire nos chroniques de L’enfant et les sortilèges, Semiramide, Les contes d’Hoffmann, Les Troyens, Requiem et La princesse jaune]. Un rôle que le mezzo pourra sans peine mettre durablement à son répertoire – et on l’espère !

Placés sous la direction de Christophe Rousset, les pupitres des Talens Lyriques restituent la vitalité dramatique et idiomatique de la musique de Spontini, entre accents de gravité, sinon de profondeur de sentiment, et tintements d’une certaine pompe d’époque que ne renieront pas, plus tard, Auber et Meyerbeer. La restitution du langage hybride de cette étape remarquable vers le grand opéra bénéficie de l’excellence du Vlaams Radiokoor, quatrième partenaire dans la coproduction de ce concert.

GC