Chroniques

par gilles charlassier

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 26 septembre 2018
Au Théâtre du Capitole, George Petrou joue La traviata (1853) de Verdi
© marco magliocca

Suscitant la convergence des projecteurs du public et de la critique, le spectacle inaugural du mandat d'un directeur artistique de maison d'opéra n'a sans doute rien d'anodin. On peut être tenté d'aligner de grands noms dans la distribution, pour montrer que l'on peut se mesurer aux riches heures du théâtre ou aux concurrents les plus prestigieux, ou bien donner des leçons d'originalité en exhumant un auto-proclamé chef-d’œuvre inconnu. Pour l'ouverture de sa première saison, Christophe Ghristi a préféré donner le ton en faisant se rencontrer nouveaux talents et figures établies, sans ignorer le vivier d'artistes français, dans un classique du répertoire, La traviata de Verdi – préservant les raretés, fussent-elles seulement in loco, pour la suite d'une programmation qui n'oubliera pas de maintenir la curiosité du mélomane toulousain.

Bras droit de Nicolas Joel à l'Opéra national de Paris au début des années 2010, le nouveau directeur du Capitole assume son faible appétit pour les herméneutiques iconoclastes qui prennent en otage les œuvres, à rebours de leur idiosyncrasie dramaturgique. La traviata qu'il a commandée à Pierre Rambert, novice à l'opéra, témoigne de ce respect du texte et de la musique. Avec l'appui des décors dessinés par Antoine Fontaine et l'éclectisme des costumes soigneusement imaginés par Frank Sorbier, cette lecture s'appuie sur des effets scénographiques qui privilégient la conception visuelle. Le rideau se lève sur un camélia qui s'ouvre à la manière d'un oculus sur l'univers courtisan de Violetta. Le troisième acte se refermera sur cette même corolle, rapace qui remontera la dépouille de la demi-mondaine depuis le linceul de son baldaquin jusque vers les cintres, comme une icône sacrifiée, tandis que les autres personnages prendront le chemin des coulisses, embaumant la défunte en sa solitude désormais mythifiée.

Dans cet ambitus dramatique, la fête prend des allures de danse macabre, emmenée par un couple de danseurs, Sophie Célikoz et François Auger, squelettes en nylon noir qui transforment le chœur des matadors en pas de deux hautement athlétique, avec des acrobaties remplissant le rôle de divertissement chorégraphique. Si l’Acte I et le second tableau du II s'inscrivent sur un fond architectural que n'aurait pas renié le goût parisien du Second Empire, avec une superposition un peu chargée dans l'écrasement de la perspective entre le décorum de l'hôtel particulier et son ameublement où se mêlent autant d’époques que de mascarade vestimentaire aux couleurs funèbres, la thébaïde de Bougival baigne dans une lumière provençale, sinon californienne, et n'omet pas, côté cour, l'échelle d'une piscine avec vue sur la mer. À la fin de la scène, Hervé Gary module un habile tamis dans les éclairages, comme celui de la blanche approche du crépuscule, quand on appréciera les pâleurs de la chambre de la phtisique, comme filtre d'un monde extérieur devenu inaccessible.

Contenu par cet amidonnage visuel, le plateau est dominé par l'incarnation d’Anita Hartig dans le rôle-titre. Le frémissement de la ligne et les ressources du timbre servent la mise en valeur du sentiment, selon une évolution psychologique qui gagnerait à un approfondissement de la direction d'acteurs, et compense de menus aléas de première. Airam Hernández affirme un Alfredo d'une appréciable sincérité, au legato séduisant, même si, çà et là, la vigueur prend l'ascendant, en particulier dans la confrontation avec le Germont de Nicola Alaimo, lequel privilégie nettement la puissance de l'autorité à la complexité de l'affection paternelle, avec des moyens aussi indéniables que les marges de rondeur dans l'émission.

Autour de ce trio s'agite un univers mondain caractérisé avec justesse. Dans une robe aux ornements et au tissu également somptueux, Catherine Trottmann ne néglige aucunement la personnalité de Flora. François Piolino résume la vitalité entremetteuse de Gaston de Létorières. Marc Scoffoni fait un Baron Douphol jaloux de sa séduction, comme on l'attend. Les graves d'Ugo Rabec siéent à un Marquis d'Obigny de bonne tenue. Francis Dudziak minaude discrètement la bienveillance du Docteur Grenvil, quand l'opulence de l'Annina d'Anna Steiger lui tient généralement lieu de notes. Préparés efficacement par Alfonso Caiani, le Chœur du Capitole fournit les trois interventions de la domesticité : Giuseppe (Alfredo Poesina), le commissaire (Laurent Labarbe) et le valet de Flora (Didier Pizzolitto).

Dans la fosse, George Petrou anime les couleurs et les potentialités expressives de la partition, quitte à laisser parfois les pupitres de l'Orchestre national du Capitole succomber à l'ivresse des effets, entre autres dans les péroraisons finales.

GC